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légèrement sillonnées, sont ravivées par de belles fleurs cramoisies, que l’on aperçoit à une grande distance.

L’agave vivipare s’élevoit encore plus haut dans les criques salées, et présentoit une forêt d’herbes de trente pieds perpendiculaires. La graine mûre de cette herbe germe quelquefois sur la plante même, de sorte que le jeune plant tombe à terre tout formé. Comme l’agave vivipare croît souvent au bord des eaux courantes, ses graines nues emportées du flot étoient exposées à périr : la nature les a développées pour ces cas particuliers sur la vieille plante, afin qu’elles pussent se fixer par leurs petites racines en s’échappant du sein maternel.

Le souchet d’Amérique étoit commun dans l’île. Le tuyau de ce souchet ressemble à celui d’un jonc noueux, et sa feuille à celle du poireau. Les sauvages l’appellent apoya matsi. Les filles indiennes de mauvaise vie broient cette plante entre deux pierres, et s’en frottent le sein et les bras.

Nous traversâmes une prairie semée de jacobée à fleurs jaunes, d’alcée à panaches roses, et d’obélia, dont l’aigrette est pourpre. Des vents légers se jouant sur la cime de ces plantes brisoient leurs flots d’or, de rose et de pourpre, ou creusoient dans la verdure de longs sillons.

La sénéka, abondante dans les terrains marécageux, ressembloit, par la forme et par la couleur, à des scions d’osier rouge ; quelques branches rampoient à terre, d’autres s’élevaient dans l’air : la sénéka a un petit goût amer et aromatique. Auprès d’elle croissoit le convolvulus des Carolines, dont la feuille imite la pointe d’une flèche. Ces deux plantes se trouvent partout où il y a des serpents à sonnettes : la première guérit de leur morsure ; la seconde est si puissante, que les sauvages, après s’en être frotté les mains, manient impunément ces redoutables reptiles. Les Indiens racontent que le Grand-Esprit a eu pitié des guerriers de la chair rouge aux jambes nues, et qu’il a semé lui-même ces herbes salutaires, malgré la réclamation des âmes des serpents.

Nous reconnûmes la serpentaire sur les racines des grands arbres ; l’arbre pour le mal de dents, dont le tronc et les branches épineuses sont chargés de protubérances grosses comme des œufs de pigeon ; l’arctosta ou canneberge, dont la cerise rouge croît parmi les mousses et guérit du flux hépatique. La bourgène, qui a la propriété de chasser les couleuvres, poussoit vigoureusement dans des eaux stagnantes couvertes de rouille.

Un spectacle inattendu frappa nos regards : nous découvrîmes une ruine indienne ; elle étoit située sur un monticule au bord du lac ; on