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Le pays que ces rivières arrosent est généralement entrecoupé de collines et de vallées rafraîchies par une multitude de ruisseaux : cependant, il y a quelques plaines de cannes sur le Cumberland et plusieurs grandes cyprières. Le buffle et le chevreuil abondent dans ce pays, qu’habitent encore des nations sauvages, particulièrement les Chéroquois. Les cimetières indiens sont fréquents, triste preuve de l’ancienne population de ces déserts.

De la grande cyprière sur l’Ohio aux bancs Jaunes j’ai dit que la route estimée est d’environ cinquante-six mille. Les bancs Jaunes sont ainsi nommés de leur couleur : placés sur la rive septentrionale de l’Ohio, on les rase de près, parce que l’eau est profonde de ce côté. L’Ohio a presque partout un double rivage, l’un pour la saison des débordements, l’autre pour les temps de sécheresse.

Des bancs Jaunes à l’embouchure de l’Ohio dans le Mississipi, par les 36e 51’ de latitude, on compte à peu près trente-cinq milles.

Pour bien juger du confluent des deux fleuves, il faut supposer que l’on part d’une petite île sous la rive orientale du Mississipi, et que l’on veut entrer dans l’Ohio : à gauche vous apercevez le Mississipi, qui coule dans cet endroit presque est et ouest, et qui présente une grande eau troublée et tumultueuse ; à droite, l’Ohio, plus transparent que le cristal, plus paisible que l’air, vient lentement du nord au sud, décrivant une courbe gracieuse : l’un et l’autre dans les saisons moyennes ont à peu près deux milles de large au moment de leur rencontre. Le volume de leur fluide est presque le même ; les deux fleuves, s’opposant une résistance égale, ralentissent leur cours, et paroissent dormir ensemble pendant quelques lieues dans leur lit commun.

La pointe où ils marient leurs flots est élevée d’une vingtaine de pieds au-dessus d’eux : composé de limon et de sable, ce cap marécageux se couvre de chanvre sauvage, de vigne qui rampe sur le sol ou qui grimpe le long des tuyaux de l’herbe à buffle ; des chênes-saules croissent aussi sur cette langue de terre qui disparoît dans les grandes inondations. Les fleuves débordés et réunis ressemblent alors à un vaste lac.

Le confluent du Missouri et du Mississipi présente peut-être encore quelque chose du plus extraordinaire. Le Missouri est un fleuve fougueux, aux eaux blanches et limoneuses, qui se précipite dans le pur et tranquille Mississipi avec violence. Au printemps, il détache de ses rives de vastes morceaux de terre : ces îles flottantes descendant le cours du Missouri avec leurs arbres couverts de feuilles ou de fleurs, les uns encore debout, les autres à moitié tombés, offrent un spectacle merveilleux.