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répression d’un crime énorme, abstraction faite des causes qui ont produit ce crime et de la politique que l’Europe chrétienne a cru devoir suivre. Si cette politique est erronée, elle sera punie, car les gouvernements n’échappent pas plus aux conséquences de leurs fautes que les individus.

Il est de notoriété publique que des femmes, des enfants, des vieillards, ont été transportés dans des vaisseaux appartenant à des nations civilisées, pour être vendus comme esclaves dans les différents bazars de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique. Ces enfants, ces femmes, ces vieillards sont de la race blanche dont nous sommes ; ils sont chrétiens comme nous ; et je dirais qu’ils sont nés dans cette Grèce, mère de la civilisation, si je ne m’étais interdit tous les souvenirs qui pourraient ôter le calme à vos esprits.

A Dieu ne plaise que je veuille diminuer l’horreur qu’inspire la traite des noirs ! mais enfin je parle devant des chrétiens, je parle devant de vénérables prélats d’une Église naguère persécutée. Quand on arrache un nègre à ses forêts, on le transporte dans un pays civilisé ; il y trouve des fers, il est vrai, mais la religion, qui ne peut rien pour sa liberté dans ce monde, quoiqu’elle ait prononcé l’abolition de l’esclavage ; la religion, qui ne peut le défendre contre les passions des hommes, console du moins le pauvre nègre, et lui assure dans une autre vie cette délivrance que l’on trouve près du Réparateur de toutes les injustices, près du Père de toutes les miséricordes.

Mais l’habitant du Péloponèse et de l’Archipel, arraché aux flammes et aux ruines de sa patrie ; la femme enlevée à son mari égorgé ; l’enfant ravi à la mère dans les bras de laquelle il a été baptisé, toute cette race est civilisée et chrétienne. A qui est-elle vendue ? à la barbarie et au mahométisme ! Ici le crime religieux vient se joindre au crime civil et politique, et l’individu qui le commet est coupable au tribunal du Dieu des chrétiens comme au tribunal des nations policées ; il est coupable des apostasies qui suivront des ventes réprouvées du ciel, comme il est responsable des autres misères qui en seront dans ce monde la conséquence inévitable.

Dira-t-on qu’on ne peut assimiler ce que j’appelle la traite des blancs à la traite des noirs, puisque les marchands chrétiens n’achètent pas des blancs pour les revendre ensuite dans les différents marchés du Levant ?

Ce serait là, messieurs, une dénégation sans preuve à laquelle vous pourriez attribuer plus ou moins de valeur. Je pourrais toujours dire que puisque des esclaves blancs sont vendus dans les marchés du Caire, dans les ports de la Barbarie, rien ne démontre que les mêmes chrétiens