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vous propose de rappeler, afin qu’il puisse tomber sous la vindicte des lois françaises.

Je vais, messieurs, développer ma pensée.

Si la loi contre la traite des noirs s’était exprimée d’une manière plus générale ; si, au lieu de dire, comme elle le dit : Toute part quelconque qui sera prise au trafic connu sous le nom de la traite des noirs sera punie, etc., elle avait dit seulement au trafic des esclaves, je n’aurais eu, messieurs, aucun amendement à proposer. Le projet de loi actuel parlant en général des contraventions, délits et crimes qui ont lieu dans les échelles du Levant, et le crime du trafic des esclaves s’y commettant tous les jours, il serait clair que le crime que je désigne serait enveloppé dans le présent projet de loi. Mais la loi de 1818 ne parle pas d’une manière générale du crime contre la liberté des hommes ; elle borne sa prohibition à la seule traite des noirs. Or, voici, messieurs, l’étrange résultat que cette prohibition spéciale peut produire dans les échelles du Levant et de Barbarie.

Je suppose qu’un bâtiment chargé d’esclaves noirs, partant d’Alger, de Tunis, de Tripoli, apporte son odieuse cargaison à Alexandrie : ce délit est prévu par vos lois : les consuls d’Alger, de Tunis, de Tripoli, informent en vertu de la loi que vous allez rendre, et le capitaine coupable est puni en vertu de la loi de 1818 contre la traite.

Eh bien, messieurs, au moment même où le vaisseau négrier arrive à Alexandrie, entre dans le port un autre vaisseau, chargé de malheureux esclaves grecs, enlevés aux champs dévastés d’Argos et d’Athènes : aucune information ne peut être commencée contre les fauteurs d’un pareil crime. Vos lois puniront dans le même lieu, dans le même port, à la même heure, le capitaine qui aura vendu un homme noir, et elles laisseront échapper celui qui aura trafiqué d’un homme blanc.

Je vous le demande, messieurs, cette anomalie monstrueuse peut-elle subsister ? Le seul énoncé de cette anomalie ne révolte-t-il pas le cœur et l’esprit, la justice et la raison, la religion et l’humanité ?

C’est cette disparate effrayante que je vous propose de détruire par le moyen le plus simple, sans blesser le caractère du projet de loi qui fait l’objet de la présente discussion.

Ne craignez pas, messieurs, que je vienne vous faire ici un tableau pathétique des malheurs de la Grèce, que je vous entraîne dans ce champ de la politique étrangère où il ne vous conviendrait peut-être pas d’entrer. Plus mes sentiments sont connus sur ce point, plus je mettrai de réserve dans mes paroles. Je me contente de demander la