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bien être aujourd’hui insuffisante. La révolution paraît désormais trop avancée : les Grecs semblent au moment de chasser les Turcs ou d’être exterminés par eux.

Une politique ferme, grande et désintéressée, peut arrêter tant de massacres, donner une nouvelle nation au monde et rendre la Grèce à la terre.

On a parlé sans passion, sans préjugé, sans illusion, avec calme, réserve et mesure, d’un sujet dont on est profondément touché. On croit mieux servir ainsi la cause des Grecs que par des déclamations. Un problème politique qui n’en était pas un, mais qu’on s’est plu à couvrir de nuages, se résout en quelques mots.

Les Grecs sont-ils des rebelles et des révolutionnaires ? Non.

Forment-ils un peuple avec lequel on puisse traiter ? Oui.

Ont-ils les conditions sociales voulues par le droit politique pour être reconnus des autres nations ? Oui.

Est-il possible de les délivrer sans troubler le monde, sans se diviser, sans prendre les armes, sans mettre même en danger l’existence de la Turquie ? Oui, et cela dans trois mois, par une seule dépêche collective souscrite des grandes puissances de l’Europe, ou par des dépêches simultanées exprimant le même vœu.

Ce sont là de ces pièces diplomatiques qu’on aimerait à signer de son sang.

Et l’on a raisonné dans un esprit de conciliation, dans le sens et dans l’espoir d’une harmonie complète entre les puissances ; car, dans la rigoureuse vérité, une entente générale entre les cabinets n’est pas même nécessaire pour l’émancipation des Grecs : une seule puissance qui reconnaîtrait leur indépendance opérerait cette émancipation. Toute bonne intelligence cesserait-elle entre cette puissance et les diverses cours ? A-t-on rompu toutes les relations amicales avec l’Angleterre, lorsqu’elle a suivi pour les colonies espagnoles le plan que l’on indique ici pour la Grèce ? Et pourtant quelle différence, sous tous les rapports, dans la question !

La Grèce sort héroïquement de ses cendres : pour assurer son triomphe, elle n’a besoin que d’un regard de bienveillance des princes chrétiens. On n’accusera plus son courage, comme on se plaît encore à calomnier sa bonne foi. Qu’on lise dans le récit de quelques soldats français qui se connaissent en valeur, qu’on lise le récit de ces combats dans lesquels ils ont eux-mêmes versé leur sang, et l’on reconnaîtra que les hommes qui habitent la Grèce sont dignes de fouler cette terre illustre. Les Canaris, les Miaulis, auraient été reconnus pour véritables Grecs à Mycale et à Salamine.