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par le concile de Florence, le pape Calixte fit publier des indulgences et ordonna des prières dans tous les temples d’Europe pour les chrétiens de la Grèce qui combattaient les infidèles ; il oubliait leur schisme et ne voyait que leur malheur !

" Ne craint-on pas, si la Grèce achève de périr, ne craint-on pas de préparer à l’avenir un terrible sujet de blâme et d’étonnement ? Les peuples chrétiens de l’Europe, dira-t-on, étaient-ils dénués de force et d’expérience pour lutter contre les barbares ? Non. Jamais tous les arts de la guerre n’avaient été portés si loin. Cette catastrophe fut-elle trop rapide et trop soudaine pour que la politique ait eu le temps de calculer et de prévenir ? Non. Le sacrifice dura cinq ans ; plus de cinq ans s’écoulèrent avant que tous les prêtres fussent égorgés, tous les temples brûlés, toutes les croix abattues dans la Grèce. "

Qu’il eût été touchant de voir le père des fidèles réveiller les princes chrétiens, les appeler au secours de l’humanité, se déclarer lui-même, comme Eugène III, comme Pie II, le chef d’une croisade pour le moins aussi sainte que les premières ! Il aurait pu dire aux chrétiens de nos jours ce qu’Urbain II disait aux premiers croisés (nous empruntons cette éloquente traduction à l’excellente, complète et capitale Histoire des Croisades 10. ) :

" Quelle voix humaine pourra jamais raconter les persécutions et les tourments que souffrent les chrétiens ? La rage impie des Sarrasins n’a point respecté les vierges chrétiennes ; ils ont chargé de fers les mains des infirmes et des vieillards ; des enfants arrachés aux embrassements maternels oublient maintenant chez les barbares le nom de Dieu… Malheur à nous, mes enfants et mes frères, qui avons vécu dans des jours de calamités ! Sommes-nous donc venus dans ce siècle pour voir la désolation de la chrétienté, et pour rester en paix lorsqu’elle est livrée entre les mains de ses oppresseurs ?… Guerriers qui m’écoutez, vous qui cherchez sans cesse de vains prétextes de guerre, réjouissez-vous, car voici une guerre légitime ! "

Que de cœurs un pareil langage, une pareille politique, n’auraient-ils pas ramenés à la religion !

Elle eût surtout formé un contraste frappant, cette politique, avec celle que l’on suit ailleurs. Jamais, non jamais, on ne craint pas de le déclarer, politique plus hideuse, plus misérable, plus dangereuse par ses résultats n’a affligé le monde. Quand on voit des chrétiens aimer mieux discipliner des hordes