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" Regarde en toute diligence comment les gens et sujets vivent en paix et en droiture dessous toi, par espécial ès bonnes villes et cités, et ailleurs. Maintiens tes franchises et libertés, esquelles tes anciens les ont maintenues et gardées, et les tiens en faveur et amour.
" Garde-toi d’émouvoir guerre contre hommes chrétiens sans grand conseil, et qu’autrement tu n’y puisses obvier. Si guerre et débats y a entre tes sujets, apaise-les au plus tôt que tu pourras.
" Prends garde souvent à tes baillifs, prévôts et autres officiers, et t’enquiers de leur gouvernement, afin que si chose y a en eux à reprendre, que tu le fasses.
" Et te supplie, mon enfant, que, en ma fin, tu aies de moi souvenance, et de ma pauvre âme ; et me secoures par messes, oraisons, prières, aumônes et bienfaits, par tout ton royaume. Et m’octroie partage et portion en tous tes bienfaits, que tu feras. Et je te donne toute bénédiction que jamais père peut donner à enfant, priant à toute la Trinité du paradis, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, qu’ils te gardent et défendent de tous maux ; à ce que nous puissions une fois, après cette mortelle vie, être devant Dieu ensemble, et lui rendre grâce et louange sans fin. "

Tout homme près de mourir, détrompé sur les choses du monde, peut adresser de sages instructions à ses enfants ; mais quand ces instructions sont appuyées de l’exemple de toute une vie d’innocence, quand elles sortent de la bouche d’un grand prince, d’un guerrier intrépide et du cœur le plus simple qui fut jamais, quand elles sont les dernières expressions d’une âme divine qui rentre aux éternelles demeures, alors heureux le peuple qui peut se glorifier en disant :

" L’homme qui a écrit ces instructions était le roi de mes pères ! "

La maladie faisant des progrès, Louis demanda l’extrême-onction. Il répondit aux prières des agonisants avec une voix aussi ferme que s’il eût donné des ordres sur un champ de bataille. Il se mit à genoux au pied de son lit pour recevoir le saint viatique, et on fut obligé de soutenir par les bras ce nouveau saint Jérôme, dans cette dernière communion. Depuis ce moment il mit fin aux pensées de la terre et se crut acquitté envers ses peuples. Eh ! quel monarque avait jamais mieux rempli ses devoirs ! Sa charité s’étendit alors à tous les hommes : il pria pour les infidèles qui firent à la fois la gloire et le malheur de sa vie ; il invoqua les saints patrons de la France, de cette France si chère à son âme royale. Le lundi matin 25 août, sentant que son heure approchait, il se fit coucher sur un lit de cendre, où il demeura étendu les bras croisés sur la poitrine et les yeux levés vers le ciel.

On n’a vu qu’une fois et l’on ne reverra jamais un pareil spectacle :