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il se rendit pieds nus, avec ses fils, du Palais de Justice à l’église de Notre-Dame. Le soir du même jour il partit pour Vincennes, où il fit ses adieux à la reine Marguerite, gentille, bonne reine, pleine de grand simplece, dit Robert de Sainceriaux ; ensuite il quitta pour jamais ces vieux chênes, vénérables témoins de sa justice et de sa vertu.

" Maintes fois ai vu que le saint homme roi s’alloit esbattre au bois de Vincennes, et s’asseyoit au pied d’un chesne, et nous fesoit seoir auprès de lui, et tous ceux qui avoient affaire à lui venoient lui parler sans qu’aucun huissier leur donnast empeschement… Aussi plusieurs fois ay vu qu’au temps d’esté le bon roi venoit au jardin de Paris, vestu d’une cotte de camelot, d’un surcot de tiretaine sans manches et d’un mantel par-dessus de sandal noir, et fesoit là estendre des tapis pour nous asseoir auprès de lui, et là fesoit depescher son peuple diligemment comme au bois de Vincennes 15. . "

Saint-Louis s’embarqua à Aigues-Mortes, le mardi 1er juillet 1270. Trois avis avaient été ouverts dans le conseil du roi avant de mettre à la voile : d’aborder à Saint-Jean-d’Acre, d’attaquer l’Égypte, de faire une descente à Tunis. Malheureusement saint Louis se rangea au dernier avis par une raison qui semblait assez décisive.

Tunis était alors sous la domination d’un prince que Geoffroy de Beaulieu et Guillaume de Nangis nomment Omar-el-Muley-Moztanca. Les historiens du temps ne disent point pourquoi ce prince feignit de vouloir embrasser la religion des chrétiens ; mais il est assez probable qu’apprenant l’armement des croisés, et ne sachant où tomberait l’orage, il crut le détourner en envoyant des ambassadeurs en France et flattant le saint roi d’une conversion à laquelle il ne pensait point. Cette tromperie de l’infidèle fut précisément ce qui attira sur lui la tempête qu’il prétendait conjurer. Louis pensa qu’il suffirait de donner à Omar une occasion de déclarer ses desseins, et qu’alors une grande partie de l’Afrique se ferait chrétienne à l’exemple de son prince.

Une raison politique se joignait à ce motif religieux : les Tunisiens infestaient les mers ; ils enlevaient les secours que l’on faisait passer aux princes chrétiens de la Palestine ; ils fournissaient des chevaux, des armes et des soldats aux soudans d’Égypte ; ils étaient le centre des liaisons que Bondoc-Dari entretenait avec les Maures de Maroc et de l’Espagne. Il importait donc de détruire ce repaire de brigands, pour rendre plus faciles les expéditions en Terre Sainte.