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tempêtes, ne laissait tomber sur mon front que des soucis, des regrets et des cheveux blancs.

Toutefois nous crûmes devoir chômer sa fête, non comme la fête d’un hôte agréable, mais comme celle d’une vieille connaissance. On égorgea le reste des poulets, à l’exception d’un brave coq, notre horloge fidèle, qui n’avait cessé de veiller et de chanter au milieu des plus grands périls. Le rabbin, le Barbaresque et les deux Maures sortirent de la cale du vaisseau, et vinrent recevoir leurs étrennes à notre banquet. C’était là mon repas de famille ! Nous bûmes à la France : nous n’étions pas loin de l’île des Lotophages, où les compagnons d’Ulysse oublièrent leur patrie : je ne connais point de fruit assez doux pour me faire oublier la mienne.

Nous touchions presque aux îles Kerkeni, les Cercinae des anciens. Du temps de Strabon il y avait des pêcheries en avant de ces îles, comme aujourd’hui. Les Cercinae furent témoins de deux grands coups de la fortune : car elles virent passer tour à tour Annibal et Marius fugitifs. Nous étions assez près d’Africa ( Turris Annibalis), où le premier de ces deux grands hommes fut obligé de s’embarquer pour échapper à l’ingratitude des Carthaginois. Sfax est une ville moderne : selon le docteur Shaw, elle tire son nom du mot Sfakouse, à cause de la grande quantité de concombres qui croissent dans son territoire.

Le 6 janvier 1807, la tempête étant enfin apaisée, nous quittâmes la petite syrte, nous remontâmes la côte de Tunis pendant trois jours, et le 10 nous doublâmes le cap Bon, l’objet de toutes nos espérances. Le 11, nous mouillâmes sous le cap de Carthage. Le 12, nous jetâmes l’ancre devant La Goulette, échelle ou port de Tunis. On envoya la chaloupe à terre ; j’écrivis à M. Devoise, consul français auprès du bey. Je craignais de subir encore une quarantaine, mais M. Devoise m’obtint la permission de débarquer le 18. Ce fut avec une vraie joie que je quittai le vaisseau. Je louai des chevaux à La Goulette ; je fis le tour du lac, et j’arrivai à cinq heures du soir chez mon nouvel hôte.




Notes

1. En marine : bâtiment de charge.

2. Le jour et la date, c’est-à-dire l’année, yeoùm, oué, târikh, ont été oubliés. Outre cette omission, nous avons remarqué plusieurs fautes d’orthographe assez graves, dont on trouvera la rectification au bas du fac-similé de l’original arabe. ( Note de M. Langlès.)

3. Quoiqu’on ait employé ici le mot arabe fadhdhah, qui signifie proprement de l’argent, ce mot désigne ici la très petite pièce de monnaie connue en Égypte, sous le nom de pârah ou meydyn, évaluée à 8 deniers 4/7, dans l’ Annuaire de la République française, publié au Caire en l’an IX. Suivant le même ouvrage, page 60, la piastre turque, le ghrouch de 40 pârahs vaut 1 liv. 8 sous 6 deniers 6/7. ( Note de M. Langlès.)

4. N V 1 15

5. Voyez, pour la description de l’Égypte, tout le onzième livre des Martyrs. (N.d.A.)

6. On voit encore en Égypte plusieurs fabriques élevées par les Français. (N.d.A.)

7. Voyage de la Grèce. Le fond du vêtement des Albanais est blanc, et les galons sont rouges. (N.d.A.)

8. Par la plus grande fatalité, le nom de mon hôte, au Caire, s’est effacé sur mon journal, et je crains de ne l’avoir pas retenu correctement, ce qui fait que je n’ose l’écrire. Je ne me pardonnerais pas un pareil malheur si ma mémoire était infidèle aux services, à l’obligeance et à la politesse de mon hôte, comme à son nom. (N.d.A.)

9. Diod., trad. de Terrass. (N.d.A.)

10. Nom de colonnes placées à différents endroits en Égypte et servant à mesurer la crue des eaux du Nil.

11. La Navigation, par M. Esménard.

Quand j’imprimais ces vers, il n’y a pas encore un an, je ne pensais pas qu’on dût appliquer si tôt à l’auteur ses propres paroles :

O temps impitoyable !

Les destins sont comblés !

( Note de la troisième édition.) - N.d.A.

12. N V 1 16

13. Quant à l’inscription ; car la colonne est elle-même bien plus ancienne que sa dédicace. (N.d.A.)

14. Voilà ce que c’est que la gloire ! On m’a dit que cet Aly-Bey était espagnol de naissance, et qu’il occupait aujourd’hui une place en Espagne. Belle leçon pour ma vanité ! ( Note de la troisième édition.) - N.d.A.