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Mais ceux qui se montraient si effrayés du passé ont-ils toujours manifesté les mêmes craintes ? n’auraient-ils jamais capitulé avec des républiques ? Ils se repentent aujourd’hui d’avoir favorisé l’indépendance ; soit. Mais que ne rachètent-ils eux-mêmes leurs péchés ? La Grèce n’avait pas besoin que leur repentir retombât sur elle ; elle se serait bien passée d’avoir été choisie pour accomplir leur pénitence.

On a laissé se former des républiques en Amérique, et par compensation on veut du despotisme dans la Grèce : mauvais jeu pour la monarchie. La royauté qui se place entre des démocraties et des gouvernements arbitraires se met dans un double péril : la crainte de la tyrannie peut précipiter dans des libertés populaires. Que les couronnes délivrent la Grèce, elles se feront bénir : les bénédictions font vivre.

Le second chef d’accusation porte sur le caractère des Grecs et la conduite qu’ils ont tenue depuis qu’ils combattent pour leur indépendance.

Quels sont ici les accusateurs ? Ce sont, en général, de petits trafiquants qui craignent toute concurrence. La Grèce est encore ingénieuse et vaillante : libre, elle deviendrait promptement une pépinière de hardis matelots et de marchands industrieux. Cette rivalité future que l’on prévoit donne de l’humeur. Mais, pour conserver le monopole des huiles et du miel de l’Attique, des cotons de Sères, des tabacs de la Macédoine, des laines de l’Olympe et du Pélion, des fabriques d’Ambélakia, du vermillon de Livadie, des raisins de Corinthe, des gommes de Thessalie, de l’opium de Salonique et des vins de l’Archipel, faut-il vouer tout un peuple à l’extermination ? faut-il qu’une nation appelée à son tour aux bienfaits de la Providence soit immolée à la jalousie de quelques marchands ?

Les Grecs, nous disent leurs ennemis, sont menteurs, perfides, avares, lâches et rampants ; et l’on oppose à ce tableau, qu’un intérêt jaloux a tracé, celui de la bonne foi des Turcs et de leurs vertus singulières.

Les voyageurs qui sans intérêts commerciaux ont parcouru le Levant savent à quoi s’en tenir sur la bonne foi et les vertus des pachas, des beys, des agas, des spahis, des janissaires : espèces d’animaux cruels, les plus violents quand ils ont la supériorité, les plus traîtres quand ils ne peuvent triompher par la force.

Défions-nous de nos préjugés historiques : relativement aux Grecs du Bas-Empire et de leurs malheureux descendants, nous sommes fascinés par nos études, nous sommes plus que nous ne le pensons peut-être sous le joug des traditions. Les chroniqueurs des croisés et les poètes qui depuis chantèrent