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de l’Ohio. Lorsque je les visitai, j’étais dans une situation d’âme bien différente de celle où je me trouvais en contemplant les mausolées des Pharaons : je commençais alors le voyage, et maintenant je le finis. Le monde, à ces deux époques de ma vie, s’est présenté à moi précisément sous l’image des deux déserts, où j’ai vu ces deux espèces de tombeaux : des solitudes riantes, des sables arides.

Nous abordâmes à Boulacq, et nous louâmes des chevaux et des ânes pour le Caire. Cette ville, que dominent l’ancien château de Babylone et le mont Moqattam, présente un aspect assez pittoresque, à cause de la multitude des palmiers, des sycomores et des minarets qui s’élèvent de son enceinte. Nous y entrâmes par des voiries et par un faubourg détruit, au milieu des vautours qui dévoraient leur proie. Nous descendîmes à la contrée des Francs, espèce de cul-de-sac dont on ferme l’entrée tous les soirs, comme les cloîtres extérieurs d’un couvent. Nous fûmes reçus par M. 8. …, à qui M. Drovetti avait confié le soin des affaires des Français au Caire. Il nous prit sous sa protection, et envoya prévenir le pacha de notre arrivée ; il fit en, même temps avertir les cinq mamelucks français, afin qu’ils nous accompagnassent dans nos courses.

Ces mamelucks étaient attachés au service du pacha. Les grandes armées laissent toujours après elles quelques traîneurs : la nôtre perdit ainsi deux ou trois cents soldats, qui restèrent éparpillés en Égypte. Ils prirent parti sous différents beys, et furent bientôt renommés par leur bravoure. Tout le monde convenait que si ces déserteurs, au lieu de se diviser entre eux, s’étaient réunis et avaient nommé un bey français, ils se seraient rendus maîtres du pays. Malheureusement ils manquèrent de chef et périrent presque tous à la solde des maîtres qu’ils avaient choisis. Lorsque j’étais au Caire. Mahamed-Ali-Pacha pleurait encore la mort d’un de ces braves. Ce soldat, d’abord petit tambour dans un de nos régiments, était tombé entre les mains des Turcs par les chances de la guerre : devenu homme, il se trouva enrôlé dans les troupes du pacha. Mahamed, qui ne le connaissait point encore, le voyant charger un gros d’ennemis, s’écria : " Quel est cet homme ? Ce ne peut être qu’un Français ; " et c’était en effet un Français. Depuis ce moment il devint le favori de son maître, et il n’était bruit que de sa valeur. Il fut tué peu de temps avant mon