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l’épée de Godefroy de Bouillon : deux religieux debout, à mes côtés, tenaient les dépouilles vénérables. L’officiant récita les prières accoutumées et me fit les questions d’usage. Ensuite il me chaussa les éperons, me frappa trois fois l’épaule avec l’épée en me donnant l’accolade. Les religieux entonnèrent le Te Deum, tandis que le gardien prononçait cette oraison sur ma tête :

" Seigneur, Dieu tout-puissant, répands ta grâce et tes bénédictions sur ce tien serviteur, etc. "

Tout cela n’est que le souvenir de mœurs qui n’existent plus. Mais que l’on songe que j’étais à Jérusalem, dans l’église du Calvaire, à douze pas du tombeau de Jésus-Christ, à trente du tombeau de Godefroy de Bouillon ; que je venais de chausser l’éperon du libérateur du Saint-Sépulcre, de toucher cette longue et large épée de fer qu’avait maniée une main si noble et si loyale ; que l’on se rappelle ces circonstances, ma vie aventureuse, mes courses sur la terre et sur la mer, et l’on croira sans peine que je devais être ému. Cette cérémonie, au reste, ne pouvait être tout à fait vaine : j’étais Français, Godefroy de Bouillon était Français : ses vieilles armes en me touchant m’avaient communiqué un nouvel amour pour la gloire et l’honneur de ma patrie. Je n’étais pas sans doute sans reproche, mais tout Français peut se dire sans peur.

On me délivra mon brevet, revêtu de la signature du gardien et du sceau du couvent. Avec ce brillant diplôme de chevalier, on me donna mon humble patente de pèlerin. Je les conserve, comme un monument de mon passage dans la terre du vieux voyageur Jacob.

Maintenant que je vais quitter la Palestine, : il faut que le lecteur se transporte avec moi hors des murailles de Jérusalem pour jeter un dernier regard sur cette ville extraordinaire.

Arrêtons-nous d’abord à la grotte de Jérémie, près des sépulcres des rois. Cette grotte est assez vaste, et la voûte en est soutenue par un pilier de pierre : C’est là, dit-on, que le prophète fit entendre ses Lamentations ; elles ont l’air d’avoir été composées à la vue de la moderne Jérusalem, tant elles peignent naturellement l’état de cette ville désolée !

" Comment cette ville, si pleine de peuple, est-elle maintenant si solitaire et si désolée ? La maîtresse des nations est devenue comme veuve : la reine des provinces a été assujettie au tribut.
" Les rues de Sion pleurent, parce qu’il n’y a plus personne qui vienne à ses solennités : toutes ses portes sont détruites ; ses prêtres ne font que gémir ; ses vierges sont toutes défigurées de douleur, et elle est plongée dans l’amertume.