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une assez grande salle et une quinzaine de trous qu’on appelle des chambres, se payerait par an cinq mille piastres.

Un maître ouvrier, maçon, menuisier, charpentier, reçoit deux piastres par jour, et il faut le nourrir : la journée d’un garçon ouvrier coûte une piastre.

Il n’y a point de mesure fixe pour la terre ; le plus souvent on achète à vue le morceau que l’on désire : on estime le fonds sur ce que ce morceau peut produire en fruits, blé ou vigne.

La charrue n’a point de roues ; elle est armée d’un petit fer qui effleure à peine la terre : on laboure avec des bœufs.

On récolte de l’orge, du froment, du doura, du maïs et du coton. On sème la sésame dans le même champ où l’on cultive le coton.

Un mulet coûte cent ou deux cents piastres, selon sa beauté ; un âne vaut depuis quinze jusqu’à cinquante piastres. On donne quatre-vingts ou cent piastres pour un cheval commun, moins estimé en général que l’âne ou le mulet ; mais un cheval d’une race arabe bien connue est sans prix. Le pacha de Damas, Abdallah-Pacha, venait d’en acheter un trois mille piastres. L’histoire d’une jument fait souvent l’entretien du pays. On racontait, lorsque j’étais à Jérusalem, les prouesses d’une de ces cavales merveilleuses. Le Bedouin qui la montait, poursuivi par les sbires du gouverneur, s’était précipité avec elle du sommet des montagnes qui dominent Jéricho. La jument était descendue au grand galop, presque perpendiculairement, sans broncher, laissant les soldats dans l’admiration et l’épouvante de cette fuite. Mais la pauvre gazelle creva en entrant à Jéricho, et le Bedouin, qui ne voulut point l’abandonner, fut pris pleurant sur le corps de sa compagne. Cette jument a un frère dans le désert ; il est si fameux que les Arabes savent toujours où il a passé, où il est, ce qu’il fait, comment il se porte. Ali-Aga m’a religieusement montré dans les montagnes, près de Jéricho, la marque des pas de la jument morte en voulant sauver son maître : un Macédonien n’aurait pas regardé avec plus de respect la trace des pas de Bucéphale.

Parlons à présent des pèlerins. Les relations modernes ont un peu exagéré les richesses que les pèlerins doivent répandre à leur passage dans la Terre Sainte. Et d’abord, de quels pèlerins s’agit-il ? Ce n’est pas des pèlerins latins, car il n’y en a plus, et l’on en convient généralement. Dans l’espace du dernier siècle, les Pères de Saint-Sauveur n’ont peut-être pas vu deux cents voyageurs catholiques, y compris les religieux de leurs ordres et les missionnaires au Levant. Que les pèlerins latins n’ont jamais été nombreux, on le peut prouver par mille exemples. Thévenot raconte qu’en 1656 il se trouva, lui vingtdeuxième,