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arrête : j’en ai parlé seulement pour avertir qu’il ne faut pas du tout confondre les ouvrages des Tartares avec les travaux des Maures. Au fond, il est plus vrai de dire que les Turcs ignorent absolument l’architecture ; ils n’ont fait qu’enlaidir les édifices grecs et les édifices arabes, en les couronnant de dômes massifs et de pavillons chinois Quelques bazars et des oratoires de santons sont tout ce que les nouveaux tyrans de Jérusalem ont ajouté à cette ville infortunée.

Le lecteur connaît maintenant les divers monuments de la cité sainte.

En revenant de visiter les sépulcres des rois qui ont donné lieu aux descriptions précédentes, je passai par la vallée de Josaphat. Le soleil se couchait derrière Jérusalem ; il dorait de ses derniers rayons cet amas de ruines et les montagnes de la Judée. Je renvoyai mes compagnons par la porte Saint-Etienne, et je ne gardai avec moi que le janissaire. Je m’assis au pied du tombeau de Josaphat ; le visage tourné vers le temple : je tirai de ma poche un volume de Racine et je relus Athalie.

A ces premiers vers :

Oui, je viens dans son temple adorer l’Eternel, etc.

il m’est impossible de dire ce que j’éprouvai. Je crus entendre les cantiques de Salomon et la voix des prophètes ; l’antique Jérusalem se leva devant moi ; les ombres de Joad, d’Athalie, de Josabeth sortirent du tombeau ; il me sembla que je ne connaissais que depuis ce moment le génie de Racine. Quelle poésie, puisque je la trouvais digne du lieu où j’étais ! On ne saurait s’imaginer ce qu’est Athalie lue sur le tombeau du saint roi Josaphat, au bord du torrent de Cédron et devant les ruines du Temple. Mais qu’est-il devenu, ce temple orné partout de festons magnifiques ?

Comment en un plomb vil l’or pur s’est-il changé ?
Quel est dans ce lieu saint ce pontife égorgé ?
Pleure, Jérusalem, pleure, cité perfide,
Des prophètes divins malheureuse homicide :
De son amour pour toi ton Dieu s’est dépouillé ;
Ton encens à ses yeux est un encens souillé.
Où menez-vous ces enfants et ces femmes ?
Le Seigneur a détruit la reine des cités :
Ses prêtres sont captifs, ses rois sont rejetés ;
Dieu ne veut plus qu’on vienne à ses solennités :
Temple, renverse-toi ; cèdres, jetez des flammes.
Jérusalem, objet de ma douleur,
Quelle main en un jour t’a ravi tous tes charmes ?