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n’ont rien emprunté des Grecs, qu’ils n’ont point connus, mais ils ont cherché à copier les arts d’une nation fameuse qu’ils avaient sans cesse sous les yeux. Peuples vagabonds, conquérants, voyageurs, ils ont imité en courant l’immuable Égypte ; ils se sont fait des obélisques de bois doré et des hiéroglyphes de plâtre, qu’ils pouvaient emporter avec leurs tentes sur le dos de leurs chameaux.

Je n’ignore pas que ce système, si c’en est un, est sujet à quelques objections, et même à des objections historiques. Je sais que le palais de Zehra, bâti par Abdoulraham auprès de Cordoue, fut élevé sur le plan d’un architecte de Constantinople, et que les colonnes de ce palais furent taillées en Grèce ; je sais qu’il existe une architecture née dans la corruption de l’art, qu’on peut appeler architecture justinienne, et que cette architecture a quelques rapports avec les ouvrages des Maures ; je sais enfin que des hommes d’un excellent goût et d’un grand savoir, tels que le respectable M. d’Agincourt et l’auteur du magnifique Voyage en Espagne, M. de La Borde, pensent que toute architecture est fille de la Grèce ; mais, quelles que soient ces difficultés et ces autorités puissantes, j’avoue qu’elles ne me font point changer d’opinion. Un plan envoyé par un architecte de Constantinople, des colonnes taillées sur les rives du Bosphore, des ouvriers grecs travaillant à une mosquée, ne prouvent rien : on ne peut tirer d’un fait particulier une conséquence générale. J’ai vu à Constantinople l’architecture justinienne. Elle a, j’en conviens, quelque ressemblance avec l’architecture des monuments sarrasins, comme le rétrécissement de la voûte dans les arcades, etc. Toutefois elle conserve une raison, une froideur, une solidité qu’on ne remarque point dans la fantaisie arabe. D’ailleurs cette architecture justinienne me semble être elle-même l’architecture égyptienne rentrée dans l’architecture grecque. Cette nouvelle invasion de l’art de Memphis fut produite par l’établissement du christianisme : les solitaires qui peuplèrent les déserts de la Thébaïde, et dont les opinions gouvernaient le monde, introduisirent dans les églises, dans les monastères, et jusque dans les palais ces portiques dégénérés appelés cloîtres, où respire le génie de l’Orient. Remarquons, à l’appui de ceci, que la véritable détérioration de l’art chez les Grecs commence précisément à l’époque de la translation du siège de l’empire romain à Constantinople : ce qui prouve que l’architecture grecque n’enfanta pas l’architecture orientale, mais que l’architecture orientale se glissa dans l’architecture grecque par le voisinage des lieux.

J’incline donc à croire que toute architecture est sortie de l’Égypte, même l’architecture gothique ; car rien n’est venu du Nord, hors le