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dénoncer lui-même les hostilités contre les puissances qui lui présenteraient une pareille déclaration.

Le divan sans doute est passionne, mais, quand on raisonne, on ne peut pas admettre comme une objection solide la supposition d’une folie. Quiconque a pratiqué les Turcs et étudié leurs mœurs sait que l’abattement de la Porte égale sa jactance aussitôt qu’elle est sérieusement pressée. D’imaginer que la Porte déclarerait la guerre à l’Europe chrétienne, si toute l’Europe demandait ou reconnaissait l’indépendance de la Grèce, ce serait vouloir s’épouvanter d’une chimère. Quand on voit le divan alarmé à la seule annonce de l’équipement de trois bateaux à vapeur que devait monter lord Cochrane, on peut juger s’il serait désireux de lutter avec les flottes combinées de l’Angleterre, de la France, de la Russie, de l’Autriche et de la Grèce.

Mais la simple reconnaissance de l’indépendance des Grecs par les puissances chrétiennes suffirait-elle pour leur assurer cette indépendance ? N’en auraient-ils pas moins à soutenir les efforts de toute la Turquie ?

Sans doute, mais le gouvernement de la Grèce, reconnu par les puissances alliées, prendrait une force insurmontable à ses ennemis. Ce gouvernement, entouré des résidents des diverses cours, pouvant communiquer avec les États réguliers, trouverait, facilement à négocier des emprunts : avec de l’argent il aurait des flottes et des soldats. Les vaisseaux chrétiens n’oseraient plus servir de transport aux barbares, et le découragement, qui ne tarderait pas à s’emparer des Turcs, aurait bientôt forcé le divan à ces trêves successives par où l’orgueil musulman consent à s’abaisser et aime à descendre jusqu’à la paix.

Quelles que soient les tentatives que la bienveillance ait pu faire ou pourra faire en faveur de la Grèce à Constantinople, on ne peut guère espérer de succès tant qu’on ne viendra pas à la déclaration que la Note propose, ou à toute autre mesure décisive. Recommander l’humanité à des Turcs, les prendre par les beaux sentiments, leur expliquer le droit des gens, leur parler de hospodarats 2. , de trêves, de négociations, sans rien leur intimer et sans rien conclure, c’est peine perdue, temps mal employé. Un mot franchement articulé finirait tout. Si la Grèce périt, c’est qu’on veut la laisser périr : il ne faut pour la sauver que l’expédition d’un courrier à Constantinople.

La conséquence de l’extermination des Hellènes serait grave pour le monde civilisé. On veut, répète-t-on, éviter une commotion militaire en Europe. Encore une fois, cette commotion n’aurait pas lieu, si l’on consentait à délivrer les Grecs par le moyen proposé : mais, d’ailleurs, qu’on ne s’y trompe