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ou trois oliviers, un palmier et quelques cyprès : la maison des chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem occupait autrefois ce terrain abandonné. Le patriarche grec me parut un très bon homme. Il était dans ce moment aussi tourmenté par le pacha que le gardien de Saint-Sauveur. Nous parlâmes de la Grèce : je lui demandai s’il possédait quelques manuscrits ; on me fit voir des Rituels et des Traités des Pères. Après avoir bu le café et reçu trois ou quatre chapelets, je passai chez le patriarche arménien.

Celui-ci s’appelait Arsenios, de la ville de Césarée en Cappadoce ; il était métropolitain de Scythopoli et procureur patriarcal de Jérusalem ; il m’écrivit lui-même son nom et ses titres en caractères syriaques sur un petit billet, que j’ai encore. Je ne trouvai point chez lui l’air de souffrance et d’oppression que j’avais remarqué chez les malheureux Grecs, esclaves partout. Le couvent arménien est agréable, l’église charmante et d’une propreté rare. Le patriarche, qui ressemblait à un riche Turc, était enveloppé dans des robes de soie et assis sur des coussins. Je bus d’excellent café de Moka. On m’apporta des confitures, de l’eau fraîche, des serviettes blanches ; on brûla du bois d’aloès, et je fus parfumé d’essence de rose au point de m’en trouver incommodé. Arsenios me parla des Turcs avec mépris. Il m’assura que l’Asie entière attendait l’arrivée des Français ; que s’il paraissait un seul soldat de ma nation dans son pays, le soulèvement serait général. On ne saurait croire à quel point les esprits fermentent dans l’Orient 36. . J’ai vu Ali-Aga se fâcher à Jéricho contre un Arabe qui se moquait de lui et qui lui disait que si l’empereur avait voulu prendre Jérusalem, il y serait entré aussi aisément qu’un chameau dans un champ de doura. Les peuples de l’Orient sont beaucoup plus familiarisés que nous avec les idées d’invasion. Ils ont vu passer tous les hommes qui ont changé la face de la terre : Sésostris, Cyrus, Alexandre, Mahomet et le dernier conquérant de l’Europe. Accoutumés à suivre les destinées d’un maître, ils n’ont point de loi qui les attache à des idées d’ordre et de modération politique : tuer quand on est le plus fort leur semble un droit légitime ; ils s’y soumettent ou l’exercent avec la même indifférence. Ils appartiennent essentiellement à l’épée ; ils aiment tous les prodiges qu’elle opère : le glaive est pour eux la baguette d’un génie qui élève et détruit les empires. La liberté, ils l’ignorent ; les propriétés, ils n’en ont point : la force est leur dieu. Quand ils sont longtemps