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sa tête, et repassa bientôt en Europe. Il est probable que les Sarrasins ne tinrent pas les engagements qu’ils avaient pris avec Frédéric, puisque nous voyons, vingt ans après, en 1242, Nedjmeddin saccager Jérusalem, comme je l’ai dit plus haut. Saint Louis arriva en Orient sept ans après ce dernier malheur. Il est remarquable que ce prince, prisonnier en Égypte, vit massacrer sous ses yeux les derniers héritiers de la famille de Saladin 30. .

Il est certain que les mameluks Baharites, après avoir trempé leurs mains dans le sang de leur maître, eurent un moment la pensée de briser les fers de saint Louis et de faire de leur prisonnier leur soudan, tant ils avaient été frappés de ses vertus. Saint Louis dit au sire de Joinville qu’il eût accepté cette couronne si les infidèles la lui avaient décernée. Rien peut-être ne fait mieux connaître ce prince, qui n’avait pas moins de grandeur d’âme que de piété, et en qui la religion n’excluait point les pensées royales.

Les mamelucks changèrent de sentiments : Moas, Almansor-Nuradin-Ali, Seféidin-Modfar, succédèrent tour à tour au trône d’Égypte, et le fameux Bibars-Bondoc-Dari devint soudan en 1263. Il ravagea la partie de la Palestine qui n’était pas soumise à ses armes et fit réparer Jérusalem. Kelaoun, héritier de Bondoc-Dari en 1281, poussa les chrétiens de place en place, et Khalil, son fils, leur enleva Tyr et Ptolémaïs ; enfin, en 1291, ils furent entièrement chassés de la Terre Sainte, après s’être maintenus cent quatre-vingt-douze ans dans leurs conquêtes et avoir régné quatre-vingt-huit ans à Jérusalem.

Le vain titre de roi de Jérusalem fut transporté dans la maison de Sicile par le frère de saint Louis, Charles, comte de Provence et d’Anjou, qui réunit sur sa tête les droits du roi de Chypre et de la princesse Marie, fille de Frédéric, prince d’Antioche. Les chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, devenus les chevaliers de Rhodes et de Malte, les chevaliers Teutoniques, conquérants du nord de l’Europe et fondateurs du royaume de Prusse, sont aujourd’hui les seuls restes de ces croisés qui firent trembler l’Afrique et l’Asie et occupèrent les trônes de Jérusalem, de Chypre et de Constantinople.

Il y a encore des personnes qui se persuadent, sur l’autorité de quelques plaisanteries usées, que le royaume de Jérusalem était un misérable petit vallon, peu digne du nom pompeux dont on l’avait décoré : c’était un très vaste et très grand pays. L’Ecriture entière, les auteurs païens, comme Hécatée d’Abdère, Théophraste, Strabon même, Pausanias, Galien, Dioscoride, Pline, Tacite, Solin, Ammien Marcellin ; les