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même de l’Asie, nous ont empêchés de devenir la proie des Turcs et des Arabes. Elles ont fait plus : elles nous ont sauvés de nos propres révolutions ; elles ont suspendu, par la paix de Dieu, nos guerres intestines ; elles ont ouvert une issue à cet excès de population qui tôt ou tard cause la ruine des États remarque que le père Maimbourg a faite et que M. de Bonald a développée.

Quant aux autres résultats des croisades, on commence à convenir que ces entreprises guerrières ont été favorables au progrès des lettres et de la civilisation. Robertson a parfaitement traité ce sujet dans son Histoire du Commerce des Anciens aux Indes Orientales. J’ajouterai qu’il ne faut pas dans ces calculs omettre la renommée que les armes européennes ont obtenue dans les expéditions d’outre-mer. Le temps de ces expéditions est le temps héroïque de notre histoire ; c’est celui qui a donné naissance à notre poésie épique. Tout ce qui répand du merveilleux sur une nation ne doit point être méprisé par cette nation même. On voudrait en vain se le dissimuler, il y a quelque chose dans notre cœur qui nous fait aimer la gloire ; l’homme ne se compose pas absolument de calculs positifs pour son bien et. pour son mal : ce serait trop le ravaler ; c’est en entretenant les Romains de l’éternité de leur ville qu’on les a menés à la conquête du monde et qu’on leur a fait laisser dans l’histoire un nom éternel.

Godefroy parut donc sur les frontières de la Palestine, l’an 1099 de Jésus-Christ ; il était entouré de Baudouin, d’Eustache, de Tancrède, de Raimond de Toulouse, des comtes de Flandre et de Normandie, de L’Etolde, qui sauta le premier sur les murs de Jérusalem ; de Guicher, déjà célèbre pour avoir coupé un lion par la moitié ; de Gaston de Foix, de Gérard de Roussillon, de Raimbaud d’Orange, de Saint-Pol, de Lambert : Pierre l’Ermite marchait avec son bâton de pèlerin à la tête de ces chevaliers. Ils s’emparèrent d’abord de Rama ; ils entrèrent ensuite dans Emmaüs, tandis que Tancrède et Baudouin du Bourg pénétraient à Bethléem. Jérusalem fut bientôt assiégée, et l’étendard de la croix flotta sur ses murs un vendredi 15, et, selon d’autres, 12 de juillet 1099, à trois heures de l’après-midi.

Je parlerai du siège de cette ville lorsque j’examinerai le théâtre de La Jérusalem délivrée. Godefroy fut élu par ses frères d’armes roi de la cité conquise. C’était le temps où de simples chevaliers sautaient de la brèche sur le trône : le casque apprend à porter le diadème, et la main blessée qui mania la pique s’enveloppe noblement dans la pourpre. Godefroy refusa de mettre sur sa tête la couronne brillante qu’on lui offrait, " ne voulant point, dit-il, porter une couronne d’or où Jésus-Christ avait porté une couronne d’épines. "