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vinrent défendre avec leurs prières des lieux inutilement confiés aux armes des rois : c’est ainsi qu’à travers mille révolutions la foi des premiers chrétiens nous avait conservé un temple qu’il était donné à notre siècle de voir périr.

Les premiers voyageurs étaient bien heureux ; ils n’étaient point obligés d’entrer dans toutes ces critiques : premièrement, parce qu’ils trouvaient dans leurs lecteurs la religion qui ne dispute jamais avec la vérité ; secondement, parce que tout le monde était persuadé que le seul moyen de voir un pays tel qu’il est, c’est de le voir avec ses traditions et ses souvenirs. C’est en effet la Bible et l’Evangile à la main que l’on doit parcourir la Terre Sainte. Si l’on veut y porter un esprit de contention et de chicane, la Judée ne vaut pas la peine qu’on l’aille chercher si loin. Que dirait-on d’un homme qui, parcourant la Grèce et l’Italie, ne s’occuperait qu’à contredire Homère et Virgile ? Voilà pourtant comme on voyage aujourd’hui : effet sensible de notre amour-propre, qui veut nous faire passer pour habiles en nous rendant dédaigneux.

Les lecteurs chrétiens demanderont peut-être à présent quels furent les sentiments que j’éprouvai en entrant dans ce lieu redoutable ; je ne puis réellement le dire. Tant de choses se présentaient à la fois à mon esprit, que je ne m’arrêtais à aucune idée particulière. Je restai près d’une demi-heure à genoux dans la petite chambre du Saint-Sépulcre, les regards attachés sur la pierre sans pouvoir les en arracher. L’un des deux religieux qui me conduisaient demeurait prosterné auprès de moi, le front sur le marbre ; l’autre, l’Evangile à la main, me lisait à la lueur des lampes les passages relatifs au saint tombeau. Entre chaque verset il récitait une prière : Domine Jesu Christe, qui in hora diei vespertina de cruce depositus, in brachiis dulcissimae Matris tuae reclinatus fuisti, horaque ultima in hoc sanctissimo monumento corpus tuum exanime contulisti, etc. Tout ce que je puis assurer, c’est qu’à la vue de ce sépulcre triomphant je ne sentis que ma faiblesse ; et quand mon guide s’écria avec saint Paul : Ubi est, Mors, victoria tua ? Ubi est, Mors, stimulus tuus  ? je prêtai l’oreille, comme si la Mort allait répondre qu’elle était vaincue et enchaînée dans ce monument.

Nous parcourûmes les stations jusqu’au sommet du Calvaire. Où trouver dans l’antiquité rien d’aussi touchant, rien d’aussi merveilleux que les dernières scènes de l’Evangile ? Ce ne sont point ici les aventures bizarres d’une divinité étrangère à l’humanité : c’est l’histoire la plus pathétique, histoire qui non seulement fait couler des larmes par sa beauté, mais dont les conséquences, appliquées à l’univers, ont