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sans doute : mais qu’il eût cette crainte de lui-même, certes elle ne pouvait sortir que d’une délicatesse de conscience, que d’un fonds de justice et de grandeur d’âme peu commune.

Qu’il soit permis à l’auteur de la Note de donner des regrets à un prince qui rehaussait les qualités les plus rares par cette bonté de cœur, ces mœurs sans faste, cette simplicité si admirable dans la puissance ; qu’il soit permis à un homme peu accoutumé à la faveur et au langage des cours de manifester ses sentiments pour un prince qui lui avait témoigné, et par ses lettres et par ses paroles, la confiance la plus honorable, pour un prince qui l’avait comblé des marques publiques de son estime, pour un prince auquel il ne peut payer ici que le tribut d’une stérile et douloureuse reconnaissance : du moins aujourd’hui on ne pourra soupçonner cette reconnaissance d’être dictée par l’ambition ou par la flatterie.

Cependant on ne peut se dissimuler que la politique suivie par la Russie à l’égard des Hellènes ne fût contraire à l’opinion religieuse, populaire et militaire du pays. Quels que fussent les événements de la Morée, on en rendait toujours le cabinet de Pétersbourg responsable : si la Grèce triomphait, les Russes demandaient pourquoi ils n’avaient pas pris part à la victoire ; si la Grèce éprouvait des revers, les Russes s’irritaient de n’avoir pas empêché la défaite. Leur orgueil national avait vu avec peine les négociations de leur gouvernement confiées, à Constantinople, à un diplomate étranger ; ils trouvaient leur rôle au-dessous de leur puissance : il n’y avait que leur confiance sans bornes dans les lumières de leur souverain, leur respect, leur vénération pour un monarque digne de tous les hommages, qui les rassurât sur le parti qu’on avait adopté. Mais Alexandre lui-même commençait à nourrir des doutes ; et les ennemis des Grecs, qui s’étaient aperçus de cette disposition nouvelle, pressaient par cette raison même l’extermination d’un peuple infortuné : ils craignaient le réveil d’un prince dont les vertus semblaient tenir à la fois de celle du juste et du grand homme.

Une importante question s’était élevée en 1823, au moment de l’expédition d’Espagne : non seulement cette question fut traitée par les voies ordinaires de la diplomatie, mais elle le fut encore par une correspondance particulière entre l’auteur de la Note, alors ministre, et un de ses illustres amis dans une des grandes cours de l’Europe. Un jour il ne sera peut-être pas sans avantage pour l’étude de la société de savoir comment deux hommes dont les positions et les destinées avaient quelque analogie à cette époque ont débattu entre eux les intérêts généraux du monde et les intérêts essentiels