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carrées. L’une de ces tours est hors du couvent ; elle servait autrefois de poste avancé pour surveiller les Arabes. Du haut de ces tours on découvre les sommets stériles des montagnes de Judée ; au-dessous de soi l’œil plonge dans le ravin desséché du torrent de Cédron, où l’on voit des grottes qu’habitèrent jadis les premiers anachorètes. Des colombes bleues nichent aujourd’hui dans ces grottes, comme pour rappeler, par leurs gémissements, leur innocence et leur douceur, les saints qui peuplaient autrefois ces rochers. Je ne dois point oublier un palmier qui croit dans un mur sur une des terrasses du couvent ; je suis persuadé que tous les voyageurs le remarqueront comme moi : il faut être environné d’une stérilité aussi affreuse pour sentir le prix d’une touffe de verdure.

Quant à la partie historique du couvent de Saint-Saba, le lecteur peut avoir recours à la lettre du père Néret et à la Vie des Pères du Désert. On montre aujourd’hui dans ce monastère trois ou quatre mille têtes de morts, qui sont celles des religieux massacrés par les infidèles. Les moines me laissèrent un quart d’heure tout seul avec ces reliques : ils semblaient avoir deviné que mon dessein était de peindre un jour la situation de l’âme des solitaires de la Thébaïde. Mais je ne me rappelle pas encore sans un sentiment pénible qu’un caloyer voulut me parler de politique et me raconter les secrets de la cour de Russie. " Hélas ! mon père, lui dis-je, où chercherez-vous la paix, si vous ne la trouvez pas ici ? "

Nous quittâmes le couvent à trois heures de l’après-midi ; nous remontâmes le torrent de Cédron ; ensuite, traversant la ravine, nous reprîmes notre route au levant. Nous découvrîmes Jérusalem par une ouverture des montagnes. Je ne savais trop ce que j’apercevais ; je croyais voir un amas de rochers brisés : l’apparition subite de cette cité des désolations au milieu d’une solitude désolée avait quelque chose d’effrayant ; c’était véritablement la reine du désert.

Nous avancions : l’aspect des montagnes était toujours le même, c’est-à-dire blanc poudreux, sans ombre, sans arbre, sans herbe et sans mousse. A quatre heures et demie, nous descendîmes de la haute chaîne de ces montagnes sur une chaîne moins élevée. Nous cheminâmes pendant cinquante minutes sur un plateau assez égal. Nous parvînmes enfin au dernier rang des monts qui bordent à l’occident la vallée du Jourdain et les eaux de la mer Morte. Le soleil était près de se coucher nous mîmes pied à terre pour laisser reposer les chevaux, et je contemplai à loisir le lac, la vallée et le fleuve.

Quand on parle d’une vallée, on se représente une vallée cultivée, ou inculte : cultivée, elle est couverte de moissons, de vignes, de