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Le Père gardien envoya chercher un Turc appelé Ali-Aga pour me conduire à Bethléem. Cet Ali-Aga était fils d’un aga de Rama, qui avait eu la tête tranchée sous la tyrannie de Djezzar. Ali était né à Jéricho, aujourd’hui Rihha, et il se disait gouverneur de ce village. C’était un homme de tête et de courage, dont j’eus beaucoup à me louer. Il commença d’abord par nous faire quitter, à moi et à mes domestiques, le vêtement arabe, pour reprendre l’habit français : cet habit, naguère si méprisé des Orientaux, inspire aujourd’hui le respect et la crainte. La valeur française est rentrée en possession de la renommée qu’elle avait autrefois dans ce pays : ce furent des chevaliers de France qui rétablirent le royaume de Jérusalem, comme ce sont des soldats de France qui ont cueilli les dernières palmes de l’ldumée. Les Turcs vous montrent à la fois et la Tour de Beaudouin et le Camp de l’empereur : on voit au Calvaire l’épée de Godefroy de Bouillon, qui, dans son vieux fourreau, semble encore garder le Saint-Sépulcre.

On nous amena à cinq heures du soir trois bons chevaux ; Michel, drogman du couvent, se joignit à nous ; Ali se mit à notre tête, et nous partîmes pour Bethléem, où nous devions coucher et prendre une escorte de six Arabes. J’avais lu que le gardien de Saint-Sauveur est le seul Franc qui ait le privilège de monter à cheval à Jérusalem, et j’étais un peu surpris de galoper sur une jument arabe ; mais j’ai su depuis que tout voyageur en peut faire autant pour son argent. Nous sortîmes de Jérusalem par la porte de Damas, puis, tournant à gauche et traversant les ravins au pied du mont Sion, nous gravîmes une montagne sur le plateau de laquelle nous cheminâmes pendant une heure. Nous laissions Jérusalem au nord derrière nous ; nous avions au couchant les montagnes de Judée, et au levant, par delà la mer Morte, les montagnes d’Arabie. Nous passâmes le couvent de Saint-Elie. On ne manque pas de faire remarquer, sous un olivier et sur un rocher au bord du chemin, l’endroit où ce prophète se reposait lorsqu’il allait à Jérusalem. A une lieue plus loin, nous entrâmes dans le champ de Rama, où l’on trouve le tombeau de Rachel. C’est un édifice carré, surmonté d’un petit dôme : il jouit des privilèges d’une mosquée ; les Turcs ainsi que les Arabes honorent les familles des patriarches. Les traditions des chrétiens s’accordent à placer le sépulcre de Rachel dans ce lieu : la critique historique est favorable à cette opinion ; mais, malgré Thévenot, Monconys, Roger et tant d’autres, je ne puis reconnaître un monument antique dans ce qu’on appelle aujourd’hui le tombeau de Rachel : c’est évidemment une fabrique turque consacrée à un santon.

Nous aperçûmes dans la montagne (car la nuit était venue) les