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saura qu’un Français est descendu au couvent ; il nous croira spécialement protégés par l’empereur. L’année dernière il nous contraignit de payer soixante mille piastres ; d’après l’usage, nous ne lui en devons que quatre mille, encore à titre de simple présent. Il veut cette année nous arracher la même somme, et il nous menace de se porter aux dernières extrémités si nous la refusons. Nous serons obligés de vendre les vases sacrés, car depuis quatre ans nous ne recevons plus aucune aumône de l’Europe : si cela continue, nous nous verrons forcés d’abandonner la Terre Sainte et de livrer aux mahométans le tombeau de Jésus-Christ. "

Je me trouvai trop heureux de pouvoir rendre ce léger service au gardien. Je le priai toutefois de me laisser aller au Jourdain, avant d’envoyer les firmans, pour ne pas augmenter les difficultés d’un voyage toujours dangereux : Abdallah aurait pu me faire assassiner en route et rejeter le tout sur les Arabes.

Le père Clément Perès, procureur général du couvent, homme très instruit, d’un esprit fin, orné et agréable, me conduisit à la chambre d’honneur des pèlerins. On y déposa mes bagages, et je me préparai à quitter Jérusalem quelques heures après y être entré. J’avais cependant plus besoin de repos que de guerroyer avec les Arabes de la mer Morte. Il y avait longtemps que je courais la terre et la mer pour arriver aux saints lieux : à peine touchais-je au but de mon voyage, que je m’en éloignais de nouveau. Mais je crus devoir ce sacrifice à des religieux qui font eux-mêmes un perpétuel sacrifice de leurs biens et de leur vie. D’ailleurs, j’aurais pu concilier l’intérêt des Pères et ma sûreté en renonçant à voir le Jourdain, et il ne tenait qu’à moi de mettre des bornes à ma curiosité.

Tandis que j’attendais l’instant du départ, les religieux se mirent à chanter dans l’église du monastère. Je demandai la cause de ces chants, et j’appris que l’on célébrait la fête du patron de l’ordre. Je me souvins alors que nous étions au 4 octobre, le jour de la Saint-François, jour de ma naissance et de ma fête. Je courus au chœur, et j’offris des vœux pour le repos de celle qui m’avait autrefois donné la vie à pareil jour : Paries liberos in dolore. Je regarde comme un bonheur que ma première prière à Jérusalem n’ait pas été pour moi. Je considérais avec respect ces religieux qui chantaient les louanges du Seigneur à trois cents pas du tombeau de Jésus-Christ ; je me sentais touché à la vue de cette faible mais invincible milice restée seule à la garde du Saint-Sépulcre, quand les rois l’ont abandonnée ;

Voilà donc quels vengeurs s’arment pour ta querelle !