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vivante, ou ces cargaisons de mutilations triomphales qui vont décorer les portes du sérail ?

Chose déplorable ! j’ai cru peindre la désolation en peignant les ruines d’Argos, de Mycènes, de Lacédémone ; et si l’on compare mes récits à ceux qui nous viennent aujourd’hui de la Morée, il semble que j’aie voyagé en Grèce au temps de sa prospérité et de sa splendeur !

J’ai pensé qu’il étoit utile pour la cause des Grecs de joindre à cette nouvelle préface de l’Itinéraire ma Note sur la Grèce, mon Opinion à la chambre des pairs à l’appui de mon amendement sur le projet de loi pour la répression des délits commis dans les échelles du Levant, et même la page du discours que j’ai lu à l’Académie, page où j’exprimois mon admiration pour les anciens comme pour les nouveaux Hellènes. On trouvera ainsi réuni tout ce que j’ai jamais écrit sur la Grèce, en exceptant toutefois quelques livres des Martyrs.

J’ai offert dans la Note un moyen simple et facile d’émanciper les Grecs, et j’ai plaidé leur cause auprès des souverains de l’Europe ; par l’amendement, je me suis adressé au premier corps politique de la France, et ce noble tribunal a prononcé une magnanime sentence en faveur de mes illustres clients.

La Note présente la Grèce telle que des barbares la font aujourd’hui, l’Itinéraire la montre telle que d’autres barbares l’avoient faite autrefois. La Note, indépendamment de son côté politique, est donc une espèce de complément de l’Itinéraire. Si la nouvelle édition de cet ouvrage tombe jamais entre les mains des Hellènes, ils verront du moins que je n’ai pas été ingrat : l’Itinéraire fait foi de l’hospitalité qu’ils m’ont donnée ; la Note témoigne de la reconnoissance que j’ai gardée de cette hospitalité.

Au surplus, on pourra remarquer que j’ai jugé les Turcs dans l’Itinéraire comme je les juge dans la Note, bien qu’un espace de vingt années sépare les époques où ces deux ouvrages ont été écrits.

Les affaires de la Grèce se présentoient naturellement à mon esprit en m’occupant de la réimpression de l’Itinéraire : j’aurois cru commettre un sacrilége de les passer sous silence dans cette préface. Il ne faut point se lasser de réclamer les droits de l’humanité : je ne regrette que de manquer de cette voix puissante qui soulève une indignation généreuse au fond des cœurs, et qui fait de l’opinion une barrière insurmontable aux desseins de l’iniquité.