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petites tables. Au milieu des prisons et des bagnes s’élève un sérail, Capitole de la servitude : c’est là qu’un gardien sacré conserve soigneusement les germes de la peste et les lois primitives de la tyrannie. De pâles adorateurs rôdent sans cesse autour du temple, et viennent apporter leurs têtes à l’idole. Rien ne peut les soustraire au sacrifice ; ils sont entraînés par un pouvoir fatal les yeux du despote attirent les esclaves, comme les regards du serpent fascinent les oiseaux dont il fait sa proie.

On a tant de relations de Constantinople, que ce serait folie à moi de prétendre encore en parler 22. . Il y a plusieurs auberges à Péra qui ressemblent à celles des autres villes de l’Europe : les porteurs qui s’emparèrent de mes bagages me conduisirent à l’une de ces auberges. Je me rendis de là au palais de France. J’avais eu l’honneur de voir à Paris M. le général Sebastiani, ambassadeur de France à la Porte : non seulement il voulut bien exiger que je mangeasse tous les jours au palais, mais ce ne fut que sur mes instantes prières qu’il me permit de rester à l’auberge. MM. Franchini frères, premiers drogmans de l’ambassade, m’obtinrent, par l’ordre du général, les firmans nécessaires pour mon voyage de Jérusalem ; monsieur l’ambassadeur y joignit des lettres adressées au père gardien de Terre Sainte et à nos consuls en Égypte et en Syrie. Craignant que je ne vinsse à manquer d’argent, il me permit de tirer sur lui des lettres de change à vue, partout où je pourrais en avoir besoin ; enfin, joignant à ces services du premier ordre les attentions de la politesse, il voulut lui-même me faire voir Constantinople, et il se donna la peine de m’accompagner aux monuments les plus remarquables. Messieurs ses aides de camp et la légation entière me comblèrent de tant de civilités, que j’en étais véritablement confus : c’est un devoir pour moi de leur témoigner ici toute ma gratitude.

Je ne sais comment parler d’une autre personne que j’aurais dû nommer la première. Son extrême bonté était accompagnée d’une grâce touchante et triste qui semblait être un pressentiment de l’avenir : elle était pourtant heureuse, et une circonstance particulière augmentait encore son bonheur. Moi-même j’ai pris part à cette joie qui devait se changer en deuil. Quand je quittai Constantinople, Mme Sebastiani était pleine de santé, d’espérance et de jeunesse ;