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avoir conduit un Anglais aux Dardanelles par la route que je voulais tenir. Ce guide consentit en effet à m’accompagner et à fournir les chevaux nécessaires, moyennant une somme assez considérable. M. Chauderloz promit de me donner un interprète et un janissaire expérimenté. Je vis alors que je serais forcé de laisser une partie de mes malles au consulat et de me contenter du plus strict nécessaire. Le jour du départ fut fixé au 4 septembre, c’est-à-dire au surlendemain de mon arrivée à Smyrne.

Après avoir promis à M. Chauderloz de revenir dîner avec lui, je me rendis à mon auberge, où je trouvai Julien tout établi dans un appartement fort propre et meublé à l’européenne. Cette auberge, tenue par une veuve, jouissait d’une très belle vue sur le port : je ne me souviens plus de son nom. Je n’ai rien à dire de Smyrne après Tournefort, Chandler, Peyssonel, Dallaway et tant d’autres, mais je ne puis me refuser au plaisir de citer un morceau du Voyage de M. de Choiseul :

" Les Grecs sortis du quartier d’Ephèse nommé Smyrna n’avaient bâti que des hameaux au fond du golfe qui depuis a porté le nom de leur première patrie ; Alexandre voulut les rassembler, et leur fit construire une ville près la rivière Mélès. Antigone commença cet ouvrage par ses ordres, et Lysimaque le finit.
" Une situation aussi heureuse que celle de Smyrne était digne du fondateur d’Alexandrie, et devait assurer la prospérité de cet établissement. Admise par les villes d’Ionie à partager les avantages de leur confédération, cette ville devint bientôt le centre du commerce de l’Asie Mineure : son luxe y attira tous les arts ; elle fut décorée d’édifices superbes et remplie d’une foule d’étrangers qui venaient l’enrichir des productions de leur pays, admirer ses merveilles, chanter avec ses poètes et s’instruire avec ses philosophes. Un dialecte plus doux prêtait un nouveau charme à cette éloquence qui paraissait un attribut des Grecs. La beauté du climat semblait influer sur celle des individus, qui offraient aux artistes des modèles à l’aide desquels ils faisaient connaître au reste du monde la nature et l’art réunis dans leur perfection.
" Elle était une des villes qui revendiquaient l’honneur d’avoir vu naître Homère : on montrait sur le bord du Mélès le lieu où Crithéis, sa mère, lui avait donné le jour, et la caverne où il se retirait pour composer ses vers immortels. Un monument élevé à sa gloire et qui portait son nom, présentait au milieu de la ville de vastes portiques sous lesquels se rassemblaient les citoyens ; enfin, leurs monnaies portaient son image, comme s’ils eussent reconnu pour souverain le génie qui les honorait.