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à mesure que nous avancions. Enfin, nous amenâmes la voile, et laissant encore quelque temps filer notre felouque, nous donnâmes fond par six brasses, en dehors de la première ligne des vaisseaux. Je cherchai des yeux mon navire de Trieste, et je le reconnus à son pavillon. Il était mouillé près de l’échelle des Francs, ou du quai des Européens. Je m’embarquai avec Joseph dans un caïque qui vint le long de notre bord, et je me fis porter au bâtiment autrichien. Le capitaine et son second étaient à terre : les matelots me reconnurent, et me reçurent avec de grandes démonstrations de joie. Ils m’apprirent que le vaisseau était arrivé à Smyrne le 18 août ; que le capitaine avait louvoyé deux jours pour m’attendre entre Zéa et le cap Sunium, et que le vent l’avait ensuite forcé à continuer sa route. Ils ajoutèrent que mon domestique, par ordre du consul de France, m’avait arrêté un logement à l’auberge.

Je vis avec plaisir que mes anciens compagnons avaient été aussi heureux que moi dans leur voyage. Ils voulurent me descendre à terre : je passai donc dans la chaloupe du bâtiment, et bientôt nous abordâmes le quai. Une foule de porteurs s’empressèrent de me, donner la main pour monter. Smyrne, où je voyais une multitude de chapeaux 7. , m’offrait l’aspect d’une ville maritime d’Italie, dont un quartier serait habité par des Orientaux. Joseph me conduisit chez M. Chauderloz, qui occupait alors le consulat français de cette importante échelle. J’aurai souvent à répéter les éloges que j’ai déjà faits de l’hospitalité de nos consuls ; je prie mes lecteurs de me le pardonner : car si ces redites les fatiguent, je ne puis toutefois cesser d’être reconnaissant. M. Chauderloz, frère de M. de La Clos, m’accueillit avec politesse, mais il ne me logea point chez lui, parce qu’il était malade et que Smyrne offre d’ailleurs les ressources d’une grande ville européenne.

Nous arrangeâmes sur-le-champ toute la suite de mon voyage : j’avais résolu de me rendre à Constantinople par terre, afin d’y prendre des firmans et de m’embarquer ensuite avec les pèlerins grecs pour la Syrie, mais je ne voulais pas suivre le chemin direct, et mon dessein était de visiter la plaine de Troie en traversant le mont Ida. Le neveu de M. Chauderloz, qui venait de faire une course à Ephèse, me dit que les défilés du Gargare étaient infestés de voleurs et occupés par des agas plus dangereux encore que les brigands. Comme je tenais à mon projet, on envoya chercher un guide qui devait