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jusqu’au VIIe siècle : il n’y a pas un pèlerinage en Terre Sainte qui ne commence par une description de quelques rochers de la Grèce. Dès l’an 1555 Belon donna en français ses Observations de plusieurs singularités retrouvées en Grèce ; le Voyage de Tournefort est entre les mains de tout le monde ; la Description exacte des îles de l’Archipel, par le Flamand Dapper, est un travail excellent ; et il n’est personne qui ne connaisse les Tableaux de M. de Choiseul.

Notre traversée fut heureuse. Le 30 août, à huit heures du matin, nous entrâmes dans le port de Zéa : il est vaste, mais d’un aspect désert et sombre, à cause de la hauteur des terres dont il est environné. On n’aperçoit sous les rochers du rivage que quelques chapelles en ruine et les magasins de la douane. Le village de Zéa est bâti sur la montagne à une lieue du port, du côté du levant, et il occupe l’emplacement de l’ancienne Carthée. Je n’aperçus en arrivant que trois ou quatre felouques grecques, et je perdis tout espoir de retrouver mon navire autrichien. Je laissai Joseph au port, et je me rendis au village avec le jeune Athénien. La montée est rude et sauvage : cette première vue d’une île de l’Archipel ne me charma pas infiniment, mais j’étais accoutumé aux mécomptes.

Zéa, bâti en amphithéâtre sur le penchant inégal d’une montagne, n’est qu’un village malpropre et désagréable, mais assez peuplé ; les ânes, les cochons, les poules vous y disputent le passage des rues ; il y a une si grande multitude de coqs, et ces coqs chantent si souvent et si haut, qu’on en est véritablement étourdi. Je me rendis chez M. Pengali, vice-consul français à Zéa ; je lui dis qui j’étais, d’où je venais, où je désirais aller, et je le priai de noliser une barque pour me porter à Chio ou à Smyrne.

M. Pengali me reçut avec toute la cordialité possible : son fils descendit au port ; il y trouva un caïque qui retournait à Tino et qui devait mettre à la voile le lendemain ; je résolus d’en profiter : cela m’avançait toujours un peu sur ma route.

Le vice-consul voulut me donner l’hospitalité, au moins pour le reste de la journée. Il avait quatre filles, et l’aînée était au moment de se marier ; on faisait déjà les préparatifs de la noce : je passai donc des ruines du temple de Sunium à un festin. C’est une singulière destinée que celle du voyageur. Le matin il quitte un hôte dans les larmes, le soir il en trouve un autre dans la joie ; il devient le dépositaire de mille secrets : Ibrahim m’avait conté à Sparte tous les accidents de la maladie du petit Turc ; j’appris à Zéa l’histoire du gendre de M. Pengali. Au fond, y a-t-il rien de plus aimable que cette naïve hospitalité ? N’êtes-vous pas trop heureux qu’on veuille bien vous accueillir