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palais de marbre qu’il considérait, que ce n’était qu’un grand mais riche hôpital, rempli d’autant de misérables que cette ville contenait d’habitants, j’aurais bien plus sujet de parler de la sorte et de dire que cette ville, rebâtie des ruines de ses anciens palais, n’est plus qu’un grand et pauvre hôpital, qui contient autant de misérables que l’on y voit de chrétiens. "

On me pardonnera de m’être étendu sur ce sujet. Aucun voyageur avant moi, Spon excepté, n’a rendu justice à ces missions d’Athènes si intéressantes pour un Français ; moi-même je les ai oubliées dans le Génie du Christianisme. Chandler parle à peine du religieux qui lui donna l’hospitalité ; et je ne sais même s’il daigne le nommer une seule fois. Dieu merci ! je suis au-dessus de ces petits scrupules. Quand on m’a obligé, je le dis : ensuite je ne rougis point pour l’art et ne trouve point le monument de Lysicrates déshonoré parce qu’il fait partie du couvent d’un capucin. Le chrétien qui conserve ce monument en le consacrant aux œuvres de la charité me semble tout aussi respectable que le païen qui l’éleva en mémoire d’une victoire remportée dans un chœur de musique.

C’est ainsi que j’achevai ma revue des ruines d’Athènes : je les avais examinées par ordre et avec l’intelligence et l’habitude que dix années de résidence et de travail donnaient à M. Fauvel. Il m’avait épargné tout le temps que l’on perd à tâtonner, à douter, à chercher, quand on arrive seul dans un monde nouveau. J’avais obtenu des idées claires sur les monuments, le ciel, le soleil, les perspectives, la terre, la mer, les rivières, les bois, les montagnes de l’Attique ; je pouvais à présent corriger mes tableaux et donner à ma peinture de ces lieux célèbres les couleurs locales 65. Il ne me restait plus qu’à poursuivre ma route : mon principal but surtout était d’arriver à Jérusalem ; et quel chemin j’avais encore devant moi ! La saison s’avançait ; je pouvais manquer, en m’arrêtant davantage, le vaisseau qui porte tous les ans, de Constantinople à Jaffa, les pèlerins de Jérusalem. J’avais toute raison de craindre que mon navire autrichien ne m’attendît plus à la pointe de l’Attique ; que, ne m’ayant pas vu revenir, il eût fait voile pour Smyrne. Mon hôte entra dans mes raisons, et me traça le chemin que j’avais à suivre. Il me conseilla de me rendre à Kératia, village de l’Attique, situé au pied du Laurium, à quelque distance de la mer, en face de l’île de Zéa. " Quand vous serez arrivé me dit-il, dans ce village, on allumera un feu sur une montagne : les bateaux de Zéa, accoutumés à ce signal, passeront sur-le-champ à la côte de l’Attique.