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smith, carte presque inconnue en France : cette querelle ne peut pas être bien sérieuse.

Enfin, on a cru que je me vantois d’avoir découvert le premier les ruines de Sparte. Ceci m’humilie un peu, car il est clair qu’on a pris à la lettre le conseil que je donne dans la Préface de ma première édition, de ne point lire l’Introduction à l’Itinéraire : mais pourtant il restoit assez de choses sur ce sujet dans le corps même de l’ouvrage pour prouver aux critiques que je ne me vantois de rien. Je cite dans l’Introduction et dans l’Itinéraire tous les voyageurs qui ont vu Sparte avant moi ou qui ont parlé de ses ruines : Giambetti, en 1465 ; Giraud et Vernon, en 1676 ; Fourmont, en 1726 ; Leroy, en 1758 ; Riedsel, en 1773 ; Villoison et Fauvel, vers l’an 1780 ; Scrofani, en 1794, et Pouqueville, en 1798. Qu’on lise dans l’Itinéraire les pages où je traite des diverses opinions touchant les ruines de Sparte, et l’on verra s’il est possible de parler de soi-même avec moins de prétention. Comme il m’a paru néanmoins que quelques phrases relatives à mes très-foibles travaux n’étoient pas assez modestes, je me suis empressé de les supprimer ou de les adoucir dans cette troisième édition[1].

Cette bonne foi, à laquelle j’attache un grand prix, se fait sentir, du moins je l’espère, d’un bout à l’autre de mon voyage. Je pourrois citer en faveur de la sincérité de mes récits plusieurs témoignages d’un grand poids, mais je me contenterai de mettre sous les yeux du lecteur une preuve tout à fait inattendue de la conscience avec laquelle l’Itinéraire est écrit : j’avoue que cette preuve m’est extrêmement agréable.

S’il y a quelque chose qui puisse paroître singulier dans ma relation, c’est

  1. Au reste, je ne sais pourquoi je m’attache si sérieusement à me justifier sur quelques points d’érudition : il est très-bon sans doute que je ne me sois pas trompé, mais, quand cela me seroit arrivé, on n’auroit encore rien à me dire : j’ai déclaré que je n’avois aucune prétention, ni comme savant, ni même comme voyageur. Mon Itinéraire est la course rapide d’un homme qui va voir le ciel, la terre et l’eau, et qui revient à ses foyers avec quelques images nouvelles dans la tête et quelques sentiments de plus dans le cœur : qu’on lise attentivement ma première préface, et qu’on ne me demande pas ce que je n’ai pu ni voulu donner. Après tout, cependant, je réponds de l’exactitude des faits. J’ai peut-être commis quelques erreurs de mémoire, mais je crois pouvoir dire que je ne suis tombé dans aucune faute essentielle. Voici, par exemple, une inadvertance assez singulière qu’on veut bien me faire connoître à l’instant : en parlant de l’épisode d’Herminie et du vieillard dans la Jérusalem délivrée, je prouve que la scène doit être placée au bord du Jourdain, mais j’ajoute que le poëte ne le dit pas ; et cependant le poète dit formellement :
    Giunse (Erminia) del bel Giordano a’ le chiare acque.