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et le murmure des vagues, qui, se brisant dans le tombeau de Thémistocle, faisaient sortir un éternel gémissement de la demeure de l’éternel silence. Emportées par les flots, les cendres du vainqueur de Xerxès reposaient au fond de ces mêmes flots, confondues avec les os des Perses. En vain je cherchais des yeux le temple de Vénus, la longue galerie et la statue symbolique qui représentait le peuple d’Athènes : l’image de ce peuple inexorable était à jamais tombée près du puits où les citoyens exilés venaient inutilement réclamer leur patrie. Au lieu de ces superbes arsenaux, de ces portiques où l’on retirait les galères, de ces Agorae retentissant de la voix des matelots ; au lieu de ces édifices qui représentaient dans leur ensemble l’aspect et la beauté de la ville de Rhodes, je n’apercevais qu’un couvent délabré et un magasin. Triste sentinelle au rivage, et modèle d’une patience stupide, c’est là qu’un douanier turc est assis toute l’année dans une méchante baraque de bois : des mois entiers s’écoulent sans qu’il voie arriver un bateau. Tel est le déplorable état où se trouvent aujourd’hui ces ports si fameux. Qui peut avoir détruit tant de monuments des dieux et des hommes ? Cette force cachée qui renverse tout, et qui est elle-même soumise au Dieu inconnu dont saint Paul avait vu l’autel à Phalère : Ἀγνώστῳ Θεῷ : Deo ignoto.

Le port du Pirée décrit un arc dont les deux pointes en se rapprochant ne laissent qu’un étroit passage ; il se nomme aujourd’hui le Port-Lion, à cause d’un lion de marbre qu’on y voyait autrefois, et que Morosini fit transporter à Venise en 1686. Trois bassins, le Canthare, l’Aphrodise et le Zéa, divisaient le port intérieurement. On voit encore une darse à moitié comblée, qui pourrait bien avoir été l’Aphrodise. Strabon affirme que le grand port des Athéniens était capable de contenir quatre cents vaisseaux, et Pline en porte le nombre jusqu’à mille. Une cinquantaine de nos barques le rempliraient tout entier ; et je ne sais si deux frégates y seraient à l’aise, surtout à présent que l’on mouille sur une grande longueur de câble. Mais l’eau est profonde, la tenue bonne, et le Pirée entre les mains d’une nation civilisée pourrait devenir un port considérable. Au reste, le seul magasin que l’on y voit aujourd’hui est français d’origine ; il a, je crois, été bâti par M. Gaspari, ancien consul de France à Athènes. Ainsi il n’y a pas bien longtemps que les Athéniens étaient représentés au Pirée par le peuple qui leur ressemble le plus.

Après nous être reposés un moment à la douane et au monastère Saint-Spiridion, nous retournâmes à Athènes en suivant le chemin du Pirée. Nous vîmes partout les restes de la longue muraille. Nous passâmes au tombeau de l’amazone Antiope, que M. Fauvel a fouillé : il a