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Adrien. Spon veut que ces colonnes soient les restes du portique des Cent-Vingt-Colonnes ; et Chandler présume qu’elles appartenaient au temple de Jupiter Olympien. M. Lechevalier et les autres voyageurs en ont parlé. Elles sont bien représentées dans les différentes vues d’Athènes et surtout dans l’ouvrage de Stuart, qui a rétabli l’édifice entier d’après les ruines. Sur une portion d’architrave qui unit encore deux de ces colonnes, on remarque une masure, jadis la demeure d’un ermite. Il est impossible de comprendre comment cette masure a pu être bâtie sur le chapiteau de ces prodigieuses colonnes, dont la hauteur est peut-être de plus de soixante pieds. Ainsi ce vaste temple, auquel les Athéniens travaillèrent pendant sept siècles, que tous les rois de l’Asie voulurent achever, qu’Adrien, maître du monde, eut seul la gloire de finir, ce temple a succombé sous l’effort du temps, et la cellule d’un solitaire est demeurée debout sur ses débris ! Une misérable loge de plâtre est portée dans les airs par deux colonnes de martre, comme si la fortune avait voulu exposer à tous les yeux, sur ce magnifique piédestal, un monument de ses triomphes et de ses caprices.

Ces colonnes, quoique beaucoup plus hautes que celles du Parthénon, sont bien loin d’en avoir la beauté : la dégénération de l’art s’y fait sentir ; mais comme elles sont isolées et dispersées sur un terrain nu, elles font un effet surprenant. Je me suis arrêté à leur pied pour entendre le vent siffler autour de leurs têtes : elles ressemblent à ces palmiers solitaires que l’on voit çà et là parmi les ruines d’Alexandrie. Lorsque les Turcs sont menacés de quelques calamités, ils amènent un agneau dans ce lieu et le contraignent à bêler, en lui dressant la tête vers le ciel : ne pouvant trouver la voix de l’innocence parmi les hommes, ils ont recours au nouveau né de la brebis pour fléchir la colère céleste.

Nous rentrâmes dans Athènes par le portique où se lit l’inscription si connue :

C’est ici la ville d’Adrien,
et non pas la ville de Thésée.

Nous allâmes rendre à M. Roque la visite qu’il m’avait faite, et nous passâmes la soirée chez lui : j’y vis quelques femmes. Les lecteurs qui seraient curieux de connaître l’habillement, les mœurs et les usages des femmes turques, grecques et albanaises à Athènes, peuvent lire le vingt-sixième chapitre du Voyage en Grèce de Chandler. S’il n’était pas si long, je l’aurais transcrit ici tout entier. Je dois dire seulement que les Athéniennes m’ont paru moins grandes et moins