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aussi, à proprement parler, qu’une seule architecture naturelle, l’architecture gothique. On sent tout de suite que ce genre est à nous, qu’il est original et né pour ainsi dire avec nos autels. En fait d’architecture grecque, nous ne sommes que des imitateurs plus ou moins ingénieux 51 ; imitateurs d’un travail dont nous dénaturons le principe en transportant dans la demeure des hommes les ornements qui n’étaient que dans la maison des dieux.

Après leur harmonie générale, leur rapport avec les lieux et les sites, et surtout leurs convenances avec les usages auxquels ils étaient destinés, ce qu’il faut admirer dans les édifices de la Grèce, c’est le fini de toutes les parties. L’objet qui n’est pas fait pour être vu y est travaillé avec autant de soin que les compositions extérieures. La jointure des blocs qui forment les colonnes du temple de Minerve est telle qu’il faut la plus grande attention pour la découvrir, et qu’elle n’a pas l’épaisseur du fil le plus délié. Afin d’atteindre à cette rare perfection, on amenait d’abord le marbre à sa plus juste coupe avec le ciseau, ensuite on faisait rouler les deux pièces l’une sur l’autre, en jetant au centre du frottement du sable et de l’eau. Les assises au moyen de ce procédé, arrivaient à un aplomb incroyable : cet aplomb dans les tronçons des colonnes était déterminé par un pivot carré de bois d’olivier. J’ai vu un de ces pivots entre les mains de M. Fauvel.

Les rosaces, les plinthes, les moulures, les astragales, tous les détails de l’édifice offrent la même perfection ; les lignes du chapiteau et de la cannelure des colonnes du Parthénon sont si déliées qu’on serait tenté de croire que la colonne entière a passé au tour : des découpures en ivoire ne seraient pas plus délicates que les ornements ioniques du temple d’Erechthée : les cariatides du Pandroséum sont des modèles. Enfin, si après avoir vu les monuments de Rome ceux de la France m’ont paru grossiers, les monuments de Rome me semblent barbares à leur tour depuis que j’ai vu ceux de la Grèce : je n’en excepte point le Panthéon avec son fronton démesuré. La comparaison peut se faire aisément à Athènes, où l’architecture grecque est souvent placée tout auprès de l’architecture romaine.

J’étais au surplus tombé dans l’erreur commune touchant les monuments des Grecs : je les croyais parfaits dans leur ensemble, mais je pensais qu’ils manquaient de grandeur. J’ai fait voir que le génie des architectes a donné en grandeur proportionnelle à ces monuments ce qui peut leur manquer en étendue ; et d’ailleurs Athènes est remplie d’ouvrages prodigieux. Les Athéniens, peuple si peu riche, si peu nombreux,