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Nous marchions vers cette petite ville, dont le territoire s’étendait à quinze ou vingt lieues, dont la population n’égalait pas celle d’un faubourg de Paris, et qui balance dans l’univers la renommée de l’empire romain. Les yeux constamment attachés sur ces ruines, je lui appliquais ces vers de Lucrèce :

Primae frugiferos foetus mortalibus aegris
Dididerunt quondam praeclaro nomine Athenae,
Et recreaverunt vitam legesque rogarunt ;
Et primae dederunt solatia dulcia vitae.

Je ne connais rien qui soit plus à la gloire des Grecs que ces paroles de Cicéron : " Souvenez-vous, Quintius, que vous commandez à des Grecs qui ont civilisé tous les peuples, en leur enseignant la douceur et l’humanité, et à qui Rome doit les lumières qu’elle possède. " Lorsqu’on songe à ce que Rome était au temps de Pompée et de César, à ce que Cicéron était lui-même, on trouve dans ce peu de mots un magnifique éloge 37.

Des trois bandes ou régions qui divisaient devant nous la plaine d’Athènes, nous traversâmes rapidement les deux premières, la région inculte et la région cultivée. On ne voit plus sur cette partie de la route le monument du Rhodien et le tombeau de la courtisane, mais on aperçoit des débris de quelques églises. Nous entrâmes dans le bois d’oliviers : avant d’arriver au Céphise, on trouvait deux tombeaux et un autel de Jupiter l’Indulgent. Nous distinguâmes bientôt le lit du Céphise entre les troncs des oliviers qui le bordaient comme de vieux saules : je mis pied à terre pour saluer le fleuve et pour boire de son eau ; j’en trouvai tout juste ce qu’il m’en fallait dans un creux sous la rive ; le reste avait été détourné plus haut pour arroser les plantations d’oliviers. Je me suis toujours fait un plaisir de boire de l’eau des rivières célèbres que j’ai passées dans ma vie : ainsi j’ai bu des eaux du Mississipi, de la Tamise, du Rhin, du Pô, du Tibre, de l’Eurotas, du Céphise, de l’Hermus, du Granique, du Jourdain, du Nil, du Tage et de l’Ebre. Que d’hommes au bord de ces fleuves peuvent dire comme les Israélites : Sedimus et flevimus !

J’aperçus à quelque distance sur ma gauche les débris du pont que Xénoclès de Linde avait fait bâtir sur le Céphise. Je remontai à cheval, et je ne cherchai point à voir le figuier sacré, l’autel de Zéphyre, la colonne d’Antémocrite ; car le chemin moderne ne suit plus dans cet endroit l’ancienne voie Sacrée. En sortant du bois d’oliviers, nous