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je ne suis point le fils d’Ulysse, quoique je préfère, comme Télémaque, mes rochers paternels aux plus beaux pays.

Il était midi ; le soleil dardait à plomb ses rayons sur nos têtes. Nous nous mîmes à l’ombre dans un coin du théâtre, et nous mangeâmes d’un grand appétit du pain et des figues sèches que nous avions apportés de Misitra : Joseph s’était emparé du reste des provisions. Le janissaire se réjouissait : il croyait en être quitte et se préparait à partir : mais il vit bientôt, à son grand déplaisir, qu’il s’était trompé. Je me mis à écrire des notes et à prendre la vue des lieux : tout cela dura deux grandes heures, après quoi je voulus examiner les monuments à l’ouest de la citadelle. C’était de ce côté que devait être le tombeau de Léonidas. Le janissaire m’accompagna tirant les chevaux par la bride ; nous allions errant de ruine en ruine. Nous étions les deux seuls hommes vivants au milieu de tant de morts illustres : tous deux barbares, étrangers l’un à l’autre ainsi qu’à la Grèce, sortis des forêts de la Gaule et des rochers du Caucase, nous nous étions rencontrés au fond du Péloponèse, moi pour passer, lui pour vivre sur les tombeaux qui n’étaient pas ceux de nos aïeux.

J’interrogeai vainement les moindres pierres pour leur demander les cendres de Léonidas. J’eus pourtant un moment d’espoir : près de cette espèce de tour que j’ai indiquée à l’ouest de la citadelle, je vis des débris de sculptures, qui me semblèrent être ceux d’un lion. Nous savons par Hérodote qu’il y avait un lion de pierre sur le tombeau de Léonidas ; circonstance qui n’est pas rapportée par Pausanias. Je redoublai d’ardeur ; tous mes soins furent inutiles 24. Je ne sais si c’est dans cet endroit que l’abbé Fourmont fit la découverte de trois monuments curieux. L’un était un cippe sur lequel était gravé le nom de Jérusalem : il s’agissait peut-être de cette alliance des Juifs et des Lacédémoniens dont il est parlé dans les Machabées ; les deux autres monuments étaient les inscriptions sépulcrales de Lysander et d’Agésilas : un Français devait naturellement retrouver le tombeau de deux grands capitaines. Je remarquerai que c’est à mes compatriotes que