pu ignorer la vraie position de Sparte. Les meilleures géographies, se conformant à ces grandes autorités, ont pris soin d’avertir que Misitra n’est point du tout Lacédémone. Il y en a même qui fixent assez bien la distance de l’une à l’autre de ces villes, en la faisant d’environ deux lieues.
on voit ici, par un exemple frappant, combien il est difficile de rétablir la vérité quand une erreur est enracinée. Malgré Spon, Fourmont, Leroi, d’Anville, etc., on s’est généralement obstiné à voir Sparte dans Misitra, et moi-même tout le premier. Deux voyageurs modernes avaient achevé de m’aveugler, Scrofani et M. Pouqueville. Je n’avais pas fait attention que celui-ci, en décrivant Misitra comme représentant Lacédémone, ne faisait que répéter l’opinion des gens du pays, et qu’il ne donnait pas ce sentiment pour le sien : il semble même pencher au contraire vers l’opinion qui a pour elle les meilleures autorités : d’où je devais conclure que M. Pouqueville, exact sur tout ce qu’il a vu de ses propres yeux, avait été trompé dans ce qu’on lui avait dit de Sparte 21.
Persuadé donc, par une erreur de mes premières études, que Misitra était Sparte, j’avais commencé à parcourir Amyclée : mon projet était de me débarrasser d’abord de ce qui n’était point Lacédémone, afin de donner ensuite à cette ville toute mon attention. Qu’on juge de mon embarras, lorsque, du haut du château de Misitra, je m’obstinais à vouloir reconnaître la cité de Lycurgue dans une ville absolument moderne, et dont l’architecture ne m’offrait qu’un mélange confus du genre oriental et du style gothique, grec et italien : pas une pauvre petite ruine antique pour se consoler au milieu de tout cela. Encore si la vieille Sparte, comme la vieille Rome, avait levé sa tête défigurée du milieu de ces monuments nouveaux ! Mais non : Sparte était renversée dans la poudre, ensevelie dans le tombeau, foulée aux pieds des Turcs, morte, morte tout entière !
Je le croyais ainsi. Mon cicérone savait à peine quelques mots d’italien et d’anglais. Pour me faire mieux entendre de lui, j’essayais de méchantes phrases de grec moderne : je barbouillais au crayon quelques mots de grec ancien, je parlais italien et anglais, je mêlais du français à tout cela ; Joseph voulait nous mettre d’accord, et il ne faisait qu’accroître la confusion ; le janissaire et le guide (espèce de juif demi-nègre) donnaient leur avis en turc, et augmentaient