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LIVRE V.

ne manifesta plus ouvertement sa grandeur. Ô puissance d’une religion qui contraint l’épouse d’un empereur romain de quitter furtivement la couche impériale comme une femme adultère, pour courir au rendez-vous des infortunés, pour venir chercher Jésus-Christ à l’autel d’un obscur martyr, parmi des tombeaux et des hommes proscrits ou méprisés ! Tandis que je m’abandonne à ces réflexions, un diacre se penche à l’oreille du pontife, dit quelques mots, fait un signe : soudain les chants cessent, les lampes s’éteignent, la brillante vision disparoît. Emporté par les flots du peuple saint, je me trouve à l’entrée des catacombes.

« Cette aventure fit prendre un cours nouveau à ma destinée. Sans avoir rien à me reprocher, je fus accusé de toutes parts : ainsi nos fautes ne sont pas toujours immédiatement punies, mais, afin de nous rendre le châtiment plus sensible, Dieu nous fait échouer dans quelque entreprise raisonnable ou nous livre à l’injustice des hommes.

« J’ignorois que l’impératrice Prisca et sa fille Valérie étoient chrétiennes : les fidèles m’avoient caché cette importante victoire, à cause de mon impiété. Les deux princesses, craignant la fureur de Galérius, n’osoient paroître à l’église : elles venoient prier la nuit aux catacombes, accompagnées du vertueux Dorothée. Le hasard me conduisit au sanctuaire des morts : les prêtres qui m’y découvrirent crurent qu’un sacrilège exclu des lieux saints n’y pouvoit être descendu que dans la vue de pénétrer un secret qu’il importoit à l’Église de cacher. Ils éteignirent les lampes, afin de me dérober la vue de l’impératrice, que j’avois eu toutefois le temps de reconnoître.

« Galérius faisoit surveiller l’impératrice, dont on soupçonnoit le penchant à la nouvelle religion. Des émissaires envoyés par Hiéroclès avoient suivi les princesses jusqu’aux catacombes, d’où ils me virent sortir avec elles. Le sophiste n’eut pas plus tôt entendu le rapport des espions, qu’il courut en instruire Galérius : Galérius vole chez Dioclétien.

« Eh bien ! s’écria-t-il, vous n’avez jamais voulu croire ce qui se passe sous vos yeux : l’impératrice et votre fille Valérie sont chrétiennes ! Cette nuit même elles se sont rendues à la caverne que la secte impie souille de ses exécrables mystères. Et savez-vous quel est le guide de ces princesses ? C’est ce Grec sorti d’une race rebelle au peuple romain, ce traître qui, pour mieux masquer ses projets, feint d’avoir abandonné la religion des séditieux, qu’il sert en secret, ce perfide qui ne cesse d’empoisonner l’esprit du prince Constantin. Reconnoissez un vaste complot dirigé contre vous par les chrétiens, et dans lequel on cherche à faire entrer votre famille même. Ordonnez