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LIVRE V.

« Consolation des affligés, disoit le prêtre, ressource des infirmes… »

« Et tous les chrétiens persécutés, achevant le sens suspendu, ajoutoient :

« Priez pour nous ! Priez pour nous ! »

« Dans cette longue énumération des infirmités humaines, chacun, reconnoissant sa tribulation particulière, appliquoit à ses propres besoins quelques-uns de ces cris vers le ciel. Mon tour ne tarda pas à venir. J’entendis le lévite prononcer distinctement ces paroles :

« Providence de Dieu, repos du cœur, calme dans la tempête… »

« Il s’arrêta : mes yeux se remplirent de larmes ; il me sembla que les regards se fixoient sur moi et que la foule charitable s’écrioit :

« Priez pour lui ! Priez pour lui ! »

« Le prêtre descendit de la chaire, et l’assemblée se retira. Touché jusques au fond du cœur, j’allai trouver Marcellin, pontife suprême de cette religion qui console de tout ; je lui racontai les peines de ma vie ; il m’instruisit des vérités de son culte : je me suis fait chrétien, et depuis ce moment mes chagrins se sont évanouis. »

« L’histoire de l’anachorète et l’aimable ingénuité de ce philosophe chrétien nous charmèrent. Nous lui fîmes plusieurs questions auxquelles il répondit avec une parfaite sincérité. Nous ne nous lassions point de l’entendre. Sa voix avoit une harmonie 19, qui remuoit doucement les entrailles. Une éloquence fleurie, et pourtant d’un goût simple, découloit naturellement de ses lèvres ; il donnoit aux moindres choses un tour antique qui nous ravissoit ; il se répétoit comme les anciens, mais cette répétition, qui eût été un défaut chez un autre, devenoit, je ne sais comment, la grâce même de ses discours. Vous l’eussiez pris pour un de ces législateurs de la Grèce qui donnoient jadis des lois aux hommes en chantant sur une lyre d’or la beauté de la vertu et la toute-puissance des dieux.

« Son départ mit un terme à cet entretien dans lequel trois jeunes hommes sans religion avoient conclu que la religion étoit le seul remède à leurs maux. Ce fut sans doute la tombe de l’Africain qui nous inspira cette pensée : les cendres d’un grand homme persécuté élèvent les sentiments vers le ciel. Nous quittâmes à regret le village de Literne ; nous nous embrassâmes : un secret pressentiment attristoit nos cœurs ; nous avions l’air de nous dire un dernier adieu. De retour à Naples, nos plaisirs ne nous offrirent plus le même attrait. Sébastien et Pacôme alloient partir pour l’armée ; Génès et Boniface sembloient avoir perdu leur gaieté ; Aglaé paroissoit mélancolique et comme troublée de remords. La cour quitta Baïes : Jérôme et Augustin retournèrent à Rome, et je suivis Constantin à son palais de Tibur. Ce