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LIVRE V.

sorti de ses bois et neveu du même césar ; Maxence[a], fils de Maximien Auguste. Mais Constantin préféroit notre société à celle de ces princes jaloux de sa vertu, de sa valeur, de sa haute renommée, et publiquement ou secrètement ses ennemis.

« Nous fréquentions surtout à Naples le palais d’Aglaé, dame romaine dont je vous ai déjà prononcé le nom. Elle étoit de race de sénateurs et fille du proconsul Arsace. Ses richesses étoient immenses. Soixante-treize intendants gouvernoient son bien, et elle avoit donné trois fois les jeux publics à ses dépens. Sa beauté égaloît ses talents et ses grâces ; elle réunissoit autour d’elle tout ce qui conservoit encore l’élégance des manières et le goût des lettres et des arts. Heureuse si, dans la décadence de Rome, elle eût mieux aimé devenir une seconde Cornélie que de rappeler le souvenir des femmes trop célèbres chantées par Ovide, Properce et Tibulle !

« Sébastien[b] et Pacôme[c], centurions dans les gardes de Constantin ; Génès[d], acteur fameux, héritier des talents de Roscius ; Boniface[e], premier intendant du palais d’Aglaé, et peut-être trop cher à sa maîtresse, embellissoient de leur esprit et de leur gaieté les fêtes de la voluptueuse Romaine. Mais Boniface, homme abandonné aux délices, avoit trois qualités excellentes : l’hospitalité, la libéralité, la compassion. En sortant des orgies et des festins, il alloit par les places secourir les voyageurs, les étrangers et les pauvres. Aglaé elle-même, au milieu de ses désordres, portoit un grand respect aux fidèles et une foi simple aux reliques des martyrs. Génès, ennemi déclaré des chrétiens, la railloit de sa foiblesse.

« Eh bien ! disoit-elle, j’ai aussi mes superstitions. Je crois à la vertu des cendres d’un chrétien mort pour son Dieu, et je veux que Boniface m’aille chercher des reliques. »

« Illustre patronne, répondoit en riant Boniface, je prendrai de l’or et des parfums. J’irai chercher des reliques de martyrs ; je vous les apporterai : mais si mes propres reliques vous viennent sous le nom de martyr, recevez-les. »

« Nous passions une partie des nuits au milieu de cette compagnie séduisante et dangereuse ; j’habitois avec Augustin et Jérôme la ville de Constantin bâtie sur le penchant du mont Pausilippe. Chaque matin, aussitôt que l’aurore commençoit à paroître, je me rendois sous un portique qui s’étendoit le long de la mer. Le soleil se levoit devant

  1. Le tyran qui prit la pourpre et que Constantin vainquit aux portes de Rome.
  2. Le martyr militaire, surnommé le Défenseur de l’Église romaine.
  3. Le solitaire de la Thébaïde, qui porta les armes sous Constantin.
  4. Le martyr.
  5. Idem.