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LES MARTYRS.

« Relevez-vous, ne craignez rien, vous êtes les bénis de mon Père ; regardez-moi ; je suis le Premier et le Dernier. »

Par delà le sanctuaire du Verbe s’étendent sans fin des espaces de feu et de lumière. Le Père habite au fond de ces abîmes de vie. Principe de tout ce qui fut, est et sera, le passé, le présent et l’avenir se confondent en lui. Là sont cachées les sources des vérités incompréhensibles 24 au ciel même : la liberté de l’homme et la prescience de Dieu ; l’être qui peut tomber dans le néant et le néant qui peut devenir l’être ; là surtout s’accomplit, loin de l’œil des anges, le mystère de la Trinité. L’esprit qui remonte et descend sans cesse du Fils au Père, et du Père au Fils, s’unit avec eux dans ces profondeurs impénétrables. Un triangle de feu paroît alors à l’entrée du Saint des saints : les globes s’arrêtent de respect et de crainte, l’Hosanna des anges est suspendu, les milices immortelles ne savent quels seront les décrets de l’Unité vivante ; elles ne savent si le trois fois Saint ne va point changer sur la terre et dans le ciel les formes matérielles et divines, ou si, rappelant à lui les principes des êtres, il ne forcera point les mondes à rentrer dans le sein de son éternité.

Les essences primitives se séparent, le triangle de feu disparoît : l’oracle s’entr’ouvre, et l’on aperçoit les trois Puissances. Porté sur un trône de nuées, le Père tient un compas à la main 25 ; un cercle est sous ses pieds ; le Fils, armé de la foudre, est assis à sa droite ; l’Esprit s’élève à sa gauche comme une colonne de lumière. Jéhovah fait un signe, et les temps, rassurés, reprennent leurs cours, et les frontières du chaos se retirent, et les astres poursuivent leurs chemins harmonieux. Les cieux prêtent alors une oreille attentive à la voix du Tout-Puissant, qui déclare quelques-uns de ses desseins sur l’univers.

À l’instant où la prière de Cyrille parvint au trône éternel, les trois Personnes se montroient ainsi aux yeux éblouis des anges. Dieu vouloit couronner la vertu de Cyrille, mais le saint prélat n’étoit point la victime de prédilection désignée pour la persécution nouvelle : il avoit déjà souffert au nom du Sauveur, et la justice du Tout-Puissant demandoit une hostie entière.

À la voix de son vénérable martyr, le Christ s’inclina devant l’Arbitre des humains 26, et fit trembler dans l’immensité de l’espace tout ce qui n’étoit pas le marchepied de Dieu. Il ouvre ses lèvres, où respire la loi de clémence, pour présenter à l’Ancien des jours le sacrifice de l’évêque de Lacédémone. Les accents de sa voix sont plus doux que l’huile de justice dont Salomon fut sacré, plus purs que la fontaine de Samarie, plus aimables que le murmure des oliviers en fleur balancés