Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/616

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se sont ensuite prudemment retirés, lorsqu’ils ont vu déchirer l’ouvrage.

Qu’on sache que les amis qui me restent, tout petit qu’en soit le nombre, ne sont pas de ceux qui se retirent au jour du combat : ils ont un jugement formé, et ils n’attendent point l’approbation ou l’animadversion d’un bureau d’esprit pour savoir à quel rang ils doivent placer un ouvrage : ils regardent Les Martyrs comme le meilleur ou, si l’on veut, comme le moins foible de mes très-foibles écrits. Est-ce un homme dont le beau talent comme écrivain surpasse encore la pureté du goût comme critique que l’on a voulu désigner par cette étrange assertion ? Mon illustre ami a dit et redit cent fois, à quiconque a voulu l’entendre, ce qu’il pense de mes derniers travaux littéraires ; ses sentiments à cet égard sont bien loin d’être changés : le temps et les satires publiées contre mon livre n’ont fait que l’affermir dans l’opinion qu’il a des Martyrs, et aucune opinion sur tous les points et sous tous les rapports ne leur est plus complétement favorable.

Si l’on trouve mauvais que je me vante ici des suffrages que j’ai obtenus ; si je sors des bornes d’une modestie que la foiblesse de mes talents me prescrit, et que je n’ai jamais franchies jusqu’à présent, qu’on s’en prenne à l’indigne manière dont on m’a traité. Il est aisé de comprendre pourquoi on avoit hasardé une accusation qui jetoit de la défaveur sur mon ouvrage, en même temps qu’elle flétrissoit le caractère de mes amis. On savoit que les dignités dont le premier d’entre eux est revêtu lui interdisoient toute espèce de lutte dans les journaux ; on n’a pas craint alors de l’appeler dans une arène où il ne pouvoit descendre. Si l’indignation que cause l’injustice l’avoit engagé malgré moi dans ce combat, eh bien, on avoit encore tout à gagner : on eût fait du bruit en s’attachant à un nom célèbre.

Enfin, s’il faut en croire les adversaires des Martyrs, ce sont les coteries, les cabales, les partis qui agissent en ma faveur.

Depuis mon entrée dans la carrière des lettres, tous mes pas ont été marqués par des orages. J’ai été accablé d’injures, de pamphlets, de parodies, de critiques, de plaisanteries en prose et en vers ; mes phrases traînent dans toutes les saletés des boulevards ; mon nom se rencontre dans toutes les satires. Qu’ai-je opposé à cela ? Une seule défense, où, en répondant d’une voix ferme, je n’ai point rendu l’insulte pour l’insulte[1]. Me rencontre-t-on dans ces salons et sur ces théâtres où se forge la renommée ? Suis-je de quelque assemblée litté-

  1. Défense du Génie du Christianisme.