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LIVRE III.

chappent des sons si suaves et si délicats, que nous ne pourrions les entendre sans mourir. Muse, où trouveriez-vous des images pour peindre ces solennités angéliques ! Seroit-ce sous les pavillons des princes de l’Orient, lorsque, assis sur un trône étincelant de pierreries, le monarque assemble sa pompeuse cour ? Ou bien, ô Muse ! rappelleriez-vous le souvenir de la terrestre Jérusalem, quand Salomon voulut dédier au Seigneur le sanctuaire du peuple fidèle ? Le bruit éclatant des trompettes ébranloit les sommets de Sion ; les lévites redisoient en chœur le cantique des degrés ; les anciens d’Israël marchoient avec Salomon devant les tables de Moïse ; le grand sacrificateur immoloit des victimes sans nombre ; les filles de Juda formoient des pas cadencés autour de l’arche d’alliance ; leurs danses, aussi pieuses que leurs hymnes, étoient des louanges au Créateur.

Les concerts de la Jérusalem céleste retentissent surtout au tabernacle très-pur qu’habite dans la cité de Dieu l’adorable Mère du Sauveur. Environnée du chœur des veuves, des femmes fortes et des vierges sans tache, Marie est assise sur un trône de candeur 19. Tous les soupirs de la terre montent vers ce trône par des routes secrètes ; la Consolatrice des affligés entend le cri de nos misères les plus cachées ; elle porte aux pieds de son Fils, sur l’autel des parfums, l’offrande de nos pleurs, et, afin de rendre l’holocauste plus efficace, elle y mêle quelques-unes de ses larmes divines. Les esprits gardiens des hommes viennent sans cesse implorer, pour leurs amis mortels, la Reine des miséricordes. Les doux séraphins de la grâce et de la charité la servent à genoux ; autour d’elle se réunissent encore les personnages touchants de la crèche, Gabriel, Anne et Joseph ; les bergers de Bethléem et les mages de l’Orient. On voit aussi s’empresser dans ce lieu les enfants morts en entrant à la vie, et qui, transformés en petits anges, semblent être devenus les compagnons du Messie au berceau. Ils balancent devant leur mère céleste des encensoirs d’or, qui s’élèvent et retombent avec un bruit harmonieux et d’où s’échappent en vapeur légère les parfums d’amour et d’innocence.

Des tabernacles de Marie on passe au sanctuaire du Sauveur des hommes 20 : c’est là que le Fils conserve par ses regards les mondes que le Père a créés ; il est assis à une table mystique 21 ; vingt-quatre vieillards, vêtus de robes blanches et portant des couronnes d’or, sont placés sur des trônes à ses côtés. Près de lui est son char vivant 22, dont les roues lancent des foudres et des éclairs. Lorsque le Désiré des nations daigne se manifester aux élus dans une vision intime et complète, les élus tombent comme morts devant sa face 23 ; mais il étend sa droite, et leur dit :