Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/59

Cette page a été validée par deux contributeurs.
45
LIVRE III.

ces anges n’ont pas même la vieillesse dans les générations de l’éternité : un nombre infini d’entre eux fut créé avec l’homme pour soutenir ses vertus, diriger ses passions, et le défendre contre les attaques de l’enfer.

Là sont aussi rassemblés à jamais les mortels qui ont pratiqué la vertu sur la terre : les patriarches, assis sous des palmiers d’or ; les prophètes, au front étincelant de deux rayons de lumière ; les apôtres, portant sur leur cœur les saints Évangiles ; les docteurs, tenant à la main une plume immortelle ; les solitaires, retirés dans des grottes célestes ; les martyrs, vêtus de robes éclatantes ; les vierges, couronnées de roses d’Éden ; les veuves, la tête ornée de longs voiles, et toutes ces femmes pacifiques qui, sous de simples habits de lin, se firent les consolatrices de nos pleurs et les servantes de nos misères.

Est-ce l’homme infirme et malheureux qui pourroit parler des félicités suprêmes ? Ombres fugitives et déplorables, savons-nous ce que c’est que le bonheur ? Lorsque l’âme du chrétien fidèle abandonne son corps, comme un pilote expérimenté quitte le fragile vaisseau que l’Océan engloutit, elle seule connoît la vraie béatitude. Le souverain bien des élus 14 est de savoir que ce bien sans mesure sera sans terme ; ils sont incessamment dans l’état délicieux d’un mortel qui vient de faire une action vertueuse ou héroïque, d’un génie sublime qui enfante une grande pensée, d’un homme qui sent les transports d’un amour légitime ou les charmes d’une amitié longtemps éprouvée par le malheur. Ainsi les nobles passions ne sont point éteintes dans le cœur des justes, mais seulement purifiées : les frères, les époux, les amis, continuent de s’aimer ; et ces attachements, qui vivent et se concentrent dans le sein de la Divinité même, prennent quelque chose de la grandeur et de l’éternité de Dieu.

Tantôt ces âmes satisfaites se reposent ensemble au bord du fleuve de la Sapience et de l’Amour. La beauté et la toute-puissance du Très-Haut sont leur perpétuel entretien.

« Ô Dieu, disent-elles, quelle est donc votre grandeur ! Tout ce que vous avez fait naître est renfermé dans les limites du temps ; et le temps, qui s’offre aux mortels comme une mer sans bornes, n’est qu’une goutte imperceptible de l’océan de votre éternité ! »

Tantôt les prédestinés, pour mieux glorifier le Roi des rois, parcourent son merveilleux ouvrage 15 : la création, qu’ils contemplent des divers points de l’univers, leur présente des spectacles ravissants : tels, si l’on peut comparer les grandes choses aux petits objets, tels se montrent aux yeux du voyageur les champs superbes de l’Indus, les riches vallées de Delhi et de Cachemire, rivages couverts de perles et parfu-