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« Le 6 octobre, au lever du jour, je parcourus le rivage. Le lac fameux qui occupe l’emplacement de Sodome et de Gomorrhe est nommé mer Morte ou mer Salée dans l’Écriture, Asphaltite par les auteurs grecs et latins, et Almotanah par les Arabes (voyez d’Anville). Strabon rapporte la tradition des villes abîmées. Je ne puis être du sentiment de quelques voyageurs qui prétendent que la mer Morte n’est que le cratère d’un volcan. J’ai vu le Vésuve, la Solfatare, le Monte-Nuovo dans le lac Fusin, le pic des Açores, le Mamelife, vis-à-vis de Carthage, les volcans éteints d’Auvergne : j’ai partout remarqué les mêmes caractères, c’est-à-dire des montagnes creusées en entonnoir, des laves et des cendres où l’action du feu ne peut se méconnoître. La mer Morte, au contraire, est un lac assez long, encaissé entre deux chaînes de montagnes, qui n’ont entre elles aucune cohérence de formes, aucune homogénéité de sol. Elles ne se rejoignent point aux deux extrémités du lac ; elles continuent d’un côté à border la vallée du Jourdain, en se rapprochant vers le nord jusqu’au lac de Tibériade, et de l’autre elles vont, en s’écartant, se perdre au midi dans les sables de l’Yémen. Il est vrai qu’on trouve du bitume, des eaux chaudes et des pierres phosphoriques dans la chaîne des montagnes d’Arabie, mais je n’en ai point vu dans la chaîne opposée. D’ailleurs la présence des eaux thermales, du soufre et du bitume, ne suffit point pour attester l’existence antérieure d’un volcan. C’est dire assez que quant aux villes abîmées je m’en tiens au sens de l’Écriture, sans appeler la physique à mon secours........................
........Quelques voyageurs prétendent que dans les temps calmes on aperçoit encore au fond de la mer Morte des débris de murailles et de palais. C’est peut-être ce qui a donné à Klopstock l’idée bizarre de faire cacher Satan dans les ruines de Gomorrhe, pour contempler la mort du Christ. Je ne sais si ces débris existent. Et comment les auroit-on découverts ? De mémoire d’homme, on n’a jamais vu de bateaux sur le lac Asphaltite. Les géographes, les historiens, les voyageurs, ne parlent point de la navigation de ce lac. Il est vrai que Josèphe le fit mesurer, mais il est probable que la mesure fut prise par terre le long du rivage ; car on ne voit pas que les anciens connussent la manière de relever les distances par eau.

« Strabon parle de treize villes englouties dans le lac Asphaltite. La Genèse en place cinq in valle silvestri, Sodome, Gomorrhe, Adam, Seboim et Bala, ou Segor ; mais elle ne marque que les deux premières détruites par le feu du ciel. Le Deutéronome en cite quatre, Sodome, Gomorrhe, Adam et Séboïm ; La Sagesse en compte cinq, sans les désigner. Descendente igne in Pentapolim.

« Jacques Cerbus ayant remarqué que sept grands courants d’eau tombent dans la mer Morte, Reland en conclut que cette mer devoit se dégager de la superfluité de ses eaux par des canaux souterrains. Sandry et quelques autres voyageurs ont énoncé la même opinion ; mais elle est aujourd’hui abandonnée, d’après les observations sur l’évaporation par le docteur Halley : observations admises par Shaw, qui trouve pourtant que le Jourdain roule par jour à la mer Morte six millions quatre-vingt-dix mille tonnes d’eau, sans compter les