Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/54

Cette page a été validée par deux contributeurs.
40
LES MARTYRS.

Pauvre tourterelle délaissée, allez sur la montagne où l’épouse attendoit l’époux ; envolez-vous vers ces bois mystiques où les filles de Jérusalem prêteront l’oreille à vos plaintes. »

Cyrille, s’adressant alors au fils de Lasthénès :

« Mon fils, montrez à Démodocus que nous ne méritons pas le reproche qu’il nous fait. Chantez-nous ces fragments des livres saints que nos frères les Apollinaires 49 ont arrangés pour la lyre, afin de prouver que nous ne sommes point ennemis de la belle poésie et d’une joie innocente. Dieu s’est souvent servi de nos cantiques pour toucher les cœurs infidèles. »

Aux branches d’un saule voisin étoit suspendue une lyre plus forte et plus grande que la lyre de Cymodocée : c’étoit un cinnor hébreu. Les cordes en étoient détendues par la rosée de la nuit. Eudore détacha l’instrument, et, après l’avoir accordé, il parut au milieu de l’assemblée, comme le jeune David, prêt à chasser par les sons de sa harpe l’esprit qui s’étoit emparé du roi Saül. Cymodocée alla s’asseoir auprès de Démodocus. Alors Eudore, levant les yeux vers le firmament chargé d’étoiles, entonna son noble cantique.

Il chanta la naissance du chaos 50, la lumière qu’une parole a faite, la terre produisant les arbres et les animaux, l’homme créé à l’image de Dieu et animé d’un souffle de vie, Ève tirée du côté d’Adam, la joie et la douleur de la femme à son premier enfantement, les holocaustes de Caïn et d’Abel, le meurtre d’un frère et le sang de l’homme criant pour la première fois vers le ciel.

Passant aux jours d’Abraham, et adoucissant les sons de sa lyre, il dit le palmier, le puits, le chameau, l’onagre du désert, le patriarche voyageur assis devant sa tente, les troupeaux de Galaad, les vallées du Liban, les sommets d’Hermon, d’Oreb et de Sinaï, les rosiers de Jéricho, les cyprès de Cadès, les palmes de l’Idumée, Éphraïm et Sichem, Sion et Solyme, le torrent des Cèdres et les eaux sacrées du Jourdain. Il dit les juges assemblés aux portes de la ville, Booz au milieu des moissonneurs, Gédéon battant son blé et recevant la visite d’un ange, le vieux Tobie allant au-devant de son fils annoncé par le chien fidèle, Agar détournant la tête pour ne pas voir mourir Ismael. Mais avant de chanter Moïse chez les pasteurs de Madian, il raconta l’aventure de Joseph reconnu par ses frères, ses larmes, celles de Benjamin, Jacob présenté à Pharaon, et le patriarche porté après sa mort à la cave de Membré pour y dormir avec ses pères.

Changeant encore le mode de sa lyre, Eudore répéta le cantique du saint roi Ézéchias et celui des Israélites exilés au bord des fleuves de Babylone, il fit gémir la voix de Rama et soupirer le fils d’Amos :