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11e. — page 232.

Se réunissent à une troupe de pèlerins, etc.

Il n’y a point ici d’anachronisme. Les pèlerinages à Jérusalem remontent jusqu’aux premiers siècles de l’Église. Saint Jérôme, qui nous a laissé, après Eusèbe, la description des Lieux Saints, dit que de son temps il venoit à Jérusalem des pèlerins de toutes les parties du monde. Une autre circonstance heureuse, c’est que j’aie pu et que j’aie dû peindre dans les Martyrs Jérusalem en ruines, telle que je l’ai vue. À l’époque de la persécution de Dioclétien, le nom même de Jérusalem étoit si totalement oublié, qu’un martyr ayant répondu à un gouverneur romain qu’il étoit de Jérusalem, celui-ci crut que le martyr parloit de quelque ville factieuse bâtie secrètement par les chrétiens. Jérusalem s’appeloit alors Ælia, du nom d’Aurélien, qui avoit rétabli quelques maisons sur les immenses ruines entassées par Titus. Enfin, il n’y a point de contradiction quand je présente de beaux édifices s’élevant à la voix d’Hélène au milieu des débris : d’un côté, le désert et le silence ; de l’autre, la population et le bruit. Selon l’histoire, la pieuse mère de Constantin fit bâtir ces grands monuments à Jérusalem, parce qu’elle fut saisie de douleur à la vue du délaissement et de la pauvreté des Lieux Saints. On voit encore aujourd’hui à Jérusalem des églises très-riches, une grande foule à quelques époques de l’année, et partout ailleurs, et dans tout autre temps, la désolation et la mort. Au reste, comme Cymodocée suit exactement et avec beaucoup de détail mon Itinéraire, je n’ai presque rien à ajouter au texte : je ne ferois que me répéter.


12e. — page 233.

Le guide s’écrie : Jérusalem !

Il faut voir comment les chroniqueurs contemporains ont parlé de l’arrivée des croisés à Jérusalem :

« O bone Jesu ! ut castra tua viderunt, hujus terrenæ Jerusalem muros, quantos exitus aquarum oculi eorum deduxerunt ! et mox terræ procumbentes sonitu oris et nutu inclinati corporis sanctum sepulchrum tuum salutaverunt ; et te qui in eo jacuisti, ut sedentem in dextera Patris, ut venturum judicem omnium, adoraverunt. (Bob., Monach., lib. ix.)

« Ubi vero ad locum ventum est, unde ipsam turritam Jerusalem possent admirari, quis quam multas ediderint lacrymas digne recenseat ? Quis affectus illos convenienter exprimat ? Extorquebat gaudium suspiria, et singultus generabat immensa lætitia. Omnes, visa Jerusalem, substiterunt, et adoraverunt, et, flexo poplite, terram sanctam deosculati sunt : omnes nudis pedibus ambularent, nisi metus hostilis eos armatos incedere debere præciperet. Ibant, et flebant ; et qui orandi gratia convenerant, pugnaturi prius pro peris arma deferebant. Fleverunt igitur super illam, super quam et Christos illorum fleverat : et mirum in modum, super quam flebant, feria tertia, octavo idus