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LIVRE II.

« Seigneur, daignez visiter cette demeure pendant la nuit et en écarter les vains songes. Nous allons quitter les vêtements du jour : couvrez-nous de la robe d’innocence et d’immortalité que nous avons perdue par la désobéissance de nos premiers pères. Lorsque nous serons endormis dans le sépulcre, ô Seigneur, faites que nos âmes reposent avec vous dans le ciel ! »

Quand cela fut fait, on entra dans la maison où se préparoit le repas de l’hospitalité. Un homme et une femme parurent, portant deux grands vases d’airain pleins d’une eau échauffée par la flamme. Le serviteur lava les pieds de Démodocus ; la servante, ceux de la fille de Démodocus ; et après les avoir oints d’une huile de parfums d’un grand prix, elle les essuya avec un lin blanc. La fille aînée de Lasthénès, du même âge que Cymodocée, descendit dans un souterrain frais et voûté. On conservoit dans ce lieu toutes sortes de choses pour la vie de l’homme. Sur des planches de chêne attachées aux parois du mur, on voyoit des outres remplies d’une huile aussi douce que celle de l’Attique ; des mesures de pierre en forme d’autel, ornées de têtes de lion, et qui contenoient la fine fleur du froment ; des vases de miel de Crète, moins blanc, mais plus parfumé que celui d’Hybla, et des amphores pleines d’un vin de Chio devenu comme un baume par le long travail des ans. La fille de Lasthénès remplit une urne de cette liqueur bienfaisante propre à réjouir le cœur de l’homme dans l’aimable familiarité d’un repas.

Cependant les serviteurs ne savoient s’ils dévoient apprêter le festin sous la vigne ou sous le figuier comme dans un jour de réjouissance. Ils vont consulter leur maître. Lasthénès leur ordonne de dresser dans la salle des Agapes une table d’un buis éclatant. Ils la lavent avec une éponge et la couvrent de corbeilles d’osier, pleines d’un pain sans levain, cuit sous la cendre. Ils apportent ensuite, dans des plats d’une simple argile, des racines, quelques volatiles et des poissons du lac Stymphale, nourriture destinée à la famille ; mais on servit pour les étrangers un chevreau qui avoit à peine goûté l’arbousier du mont Aliphère et le cytise du vallon de Ménélée.

Au moment où les convives alloient s’approcher de la mense hospitalière, une servante vint dire à Lasthénès qu’un vieillard, monté sur un âne, et tout semblable à l’époux de Marie, s’avançoit par l’avenue des cèdres. On vit bientôt entrer un homme d’un visage vénérable, portant sous un manteau blanc un habit de pasteur. Il n’étoit pas naturellement chauve, mais sa tête avoit été jadis dépouillée par la flamme, et son front montroit encore les cicatrices du martyre qu’il avoit éprouvé sous Valérien. Une barbe blanche lui descendoit jusqu’à