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« Au sortir des vallons dont je viens de parler, nous commençâmes à gravir de nouvelles montagnes. Mon guide me répéta plusieurs fois des noms inconnus ; mais, à en juger par leur position, ces montagnes devoient faire une partie de la chaîne du mont Thémathia. Nous ne tardâmes pas à entrer dans un bois charmant de vieux oliviers, de lauriers-roses, d’esquines, d’agnus-castus et de cornouillers. Ce bois étoit dominé par des sommets rocailleux. Parvenus à cette dernière cime, nous découvrîmes le beau golfe de Messénie, bordé de toutes parts de hautes montagnes, entre lesquelles le mont Ithome se distinguoit par son isolement, et le Taygète par ses deujs flèches aiguës. Je saluai aussitôt ces monts fameux par tout ce que je savois de beaux vers à leur louange.

« Un peu au-dessous du sommet du Thémathia, en descendant vers Coron, nous aperçûmes une misérable ferme grecque, dont les habitants s’enfuirent à notre approche. À mesure que nous descendions, nous découvrions de plus en plus la rade et le port de Coron, où l’on voyoit quelques bâtiments à l’ancre : la flotte du capitan-pacha étoit mouillée de l’autre côté du golfe, vers Calamate. En arrivant à la plaine qui est au pied des montagnes et qui s’étend jusqu’à la mer, nous aperçûmes un village au centre duquel étoit une espèce de château fort ; le tout étoit environné d’un cimetière turc, couvert de cyprès de tous les âges. Mon guide, en me montrant ces arbres, me les nommoit paryssa. Le Messénien d’autrefois m’auroit conté l’histoire du jeune homme dont le Messénien d’aujourd’hui n’a retenu que la moitié du nom. Mais ce nom, tout défiguré qu’il est, prononcé sur les lieux, à la vue d’un cyprès et des sommets du Taygète, me fit un plaisir que les poëtes comprendront. Je me disois pourtant, en regardant ces tombeaux turcs : Que sont venus faire ici les barbares conquérants du Péloponèse ? Ils sont venus y mourir comme les Messéniens. Au reste, ces tombeaux étoient fort agréables : le laurier-rose croissoit au pied des cyprès, qui ressembloient à de grands obélisques ; des milliers de tourterelles voltigeoient parmi ces ombrages ; l’herbe flottoit autour de la petite colonne funèbre, surmontée du turban ; une fontaine, bâtie par un pieux chérif, et qui sortoit de son tombeau, répandoit son eau dans le chemin pour le voyageur. On se seroit volontiers arrêté dans le cimetière où ce laurier de la Grèce, dominé par le cyprès de l’Orient, sembloit rappeler la mémoire de deux peuples dont la poussière reposoit dans ce lieu.

« Nous mîmes une heure pour arriver de ce cimetière à Coron. Nous marchâmes à travers un bois continu d’oliviers, planté de froment à demi moissonné. Le terrain, qui de loin paroît une plaine unie, est coupé par des ravines inégales et profondes. M. Vial, alors consul de France à Coron, me reçut avec cette hospitalité par laquelle les consuls du Levant sont si remarquables. Il voulut bien me loger chez lui. Il renvoya mon janissaire de Modon, et me donna un de ses propres janissaires, pour traverser avec moi la Morée et me conduire à Athènes. Ma marche fut ainsi réglée. Je ne pouvois me rendre à Sparte par Calamate, que l’on prendra si l’on veut pour Calathion, Cardamylo ou Thalames, sur la côte de la Laconie, presque en face de Coron. Le capitan-