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un autel dédié aux nymphes, où les voyageurs offroient des vœux et des sacrifices. Cymodocée alloit embrasser l’autel et supplier la divinité de ce lieu de calmer les inquiétudes de son père, lorsqu’elle aperçut un jeune homme qui dormoit appuyé contre un rocher. Sa tête inclinée sur sa poitrine et penchée sur son épaule gauche étoit un peu soutenue par le bois d’une lance ; sa main, jetée négligemment sur cette lance, tenoit à peine la laisse d’un chien qui sembloit prêter l’oreille à quelque bruit ; la lumière de l’astre de la nuit, passant entre les branches de deux cyprès, éclairoit le visage du chasseur : tel un successeur d’Apelles a représenté le sommeil d’Endymion 39. La fille de Démodocus crut en effet que ce jeune homme étoit l’amant de la reine des forêts : une plainte du zéphyr lui parut être un soupir de la déesse, et elle prit un rayon fugitif de la lune dans le bocage pour le bord de la tunique blanche de Diane qui se retiroit. Épouvantée, craignant d’avoir troublé les mystères, Cymodocée tombe à genoux, et s’écrie :

« Redoutable sœur d’Apollon, épargnez une vierge imprudente ; ne la percez pas de vos flèches ! Mon père n’a qu’une fille, et jamais ma mère, déjà tombée sous vos coups, ne fut orgueilleuse de ma naissance 40 ! »

À ces cris le chien aboie, le chasseur se réveille. Surpris de voir cette jeune fille à genoux, il se lève précipitamment :

« Comment ! dit Cymodocée confuse et toujours à genoux, est-ce que tu n’es pas le chasseur Endymion 41 ? »

« Et vous, dit le jeune homme non moins interdit, est-ce que vous n’êtes pas un ange ? »

« Un ange ! » reprit la fille de Démodocus.

Alors l’étranger, plein de trouble :

« Femme, levez-vous : on ne doit se prosterner que devant Dieu. »

Après un moment de silence, la prêtresse des Muses dit au chasseur :

« Si tu n’es pas un dieu caché sous la forme d’un mortel, tu es sans doute un étranger que les satyres ont égaré comme moi dans les bois. Dans quel port est entré ton vaisseau ? Viens-tu de Tyr, si célèbre par la richesse de ses marchands ? Viens-tu de la charmante Corinthe, où tes hôtes t’auront fait de riches présents ? Es-tu de ceux qui trafiquent sur les mers jusqu’aux colonnes d’Hercule ? Suis-tu le cruel Mars dans les combats, ou plutôt n’es-tu pas le fils d’un de ces mortels, jadis décorés du sceptre, qui régnoient sur un pays fertile en troupeaux et chéri des dieux ? »

L’étranger répondit :

« Il n’y a qu’un Dieu, maître de l’univers, et je ne suis qu’un homme